ACTUALITÉ [25]
Quelques commentaires, sérieux ou frivoles,
sur l'actualité européenne.
|
|
|
|
|
Les Quinze se sont réunis
les 23 et 24 mars à Lisbonne pour un sommet. Ce sommet a été
une réussite totale: par le traitement qu'elle a réservé
à l'Autriche, l'Europe a réaffirmé ses valeurs de
manière spectaculaire; en découvrant que l'économie
de demain sera liée davantage à l'informatique qu'aux mines
de charbon, l'Europe a montré sa perspicacité et sa clairvoyance.
Enfin, ce sommet aura permis de mesurer la chance qu'a la France d'avoir
à sa tête deux grands hommes d'État.
L'Europe
grotesque
Le sommet de Lisbonne était
la première rencontre au sommet de l'Union européenne depuis
l'accession au pouvoir du chancelier autrichien Wolfgang Schüssel
soutenu par le parti de Jörg Haider. Comment allaient se comporter
les quatorze conjurés qui avaient décrété l'isolement
de l'Autriche en février? En s'inspirant de Martine Aubry et de
sa collègue belge, le ministre de l'emploi Laurette Onkelinx qui
avaient quitté la salle quand le ministre autrichien ouvrit la bouche,
lors d'une réunion des ministres du travail de l'UE le 11 février
2000? Non, car cette attitude n'avait guère été appréciée
par les autres ministres: "Les douze autres pays sont restés.
Commentant la sortie franco-belge, le ministre allemand Walter Reister
(social-démocrate) a trouvé que ce geste «n'était
pas constructif». Plus dur, son collègue néerlandais
Klaas de Vries (socialiste) l'a même jugé «totalement
ridicule»." (Libération 12/02/00)
Totalement ridicule, Martine Aubry? Ce Batave impertinent a-t-il oublié
que c'est de la fille de Jacques Delors qu'il parle ainsi? Quelques semaines
après la sortie de Martine Aubry, lors d'une réunion des
ministres des affaires étrangères, les Quatorze renoncèrent
à quitter la salle: il est vrai que le ministre autrichien, Benita
Ferrero-Waldner, avait prévenu qu'elle participerait aux débats
par plusieurs brèves interventions. Faire d'incessantes allées
et venues entre la salle et le couloir a été jugé,
on se demande pourquoi, peu digne. Le recours aux boules Quies, que les
14 excellences auraient pu enlever et remettre lors des interventions de
l'Autrichienne, ne semble pas avoir été envisagé.
Après ces deux précédents
au succès équivoque, l'attitude des quatorze chefs d'État
et de gouvernement était très attendue: cette attente ne
fut pas déçue. L'Union européenne a été
d'une tenue exemplaire, mêlant indifférence et réprobation.
Hélas, il y eut quelques contretemps.
|
|
Où s'arrêteront les
provocations fascistes? Schüssel a délaissé son noeud-papillon
et est venu avec une cravate! |
|
|
Le noeud-pap Puisqu'il
ne semblait pas possible d'interdire aux Autrichiens l'accès aux
réunions, au moins les Quatorze allaient ils leur témoigner
froideur et réprobation. Comme il se doit, la France montrerait
l'exemple: Christian Sautter, qui savourait ses derniers jours de ministre
de l'économie du gouvernement Jospin, s'apprêtait à
être d'une bravoure exemplaire: au mépris du danger,
il allait "arborer son autocollant favori qui représente un nœud
papillon barré d'un interdit, en référence à
l'accessoire vestimentaire favori de Schüssel." (Libération
23/03/00) |
Las! Wolfgang Schüssel
eut la fourberie de venir au sommet avec une cravate! Cet Autrichien est
bien un authentique fasciste. L'infortuné Sautter ne put donc pas
marquer ses derniers jours de ministre d'un coup d'éclat qu'il narrerait
encore avec émotion dans dix ans à ses petits enfants. Les
héros qui mettent leur vie en danger pour leurs idées sont
décidément bien mal récompensés.
|
|
Une photo de groupe et non pas une
photo de famille |
|
|
Photo de famille ou photo
de groupe? Chirac, Jospin et le ministre belge des affaires étrangères
étaient très fermes sur un point: pas question de se laisser
photographier en compagnie du chancelier autrichien pour la traditionnelle
«photo de famille» qui clôt les sommets européens!
Il en allait de leur honneur. Un contretemps fâcheux est venu hélas
contrecarrer la résolution des trois héros. Le président
mexicain Ernesto Zedillo était venu à Lisbonne signer un
accord de libre échange avec l'Union européenne. Les Quatorze
pouvaient-ils laisser partir leur hôte désespéré
sans une photo où le président mexicain trône fièrement
aux côtés des Européens? |
C'eût été
cruel car poser en compagnie de Chirac, Jospin, Blair et des autres gloires
de l'Union européenne est une chance qui ne se représentera
peut-être plus pour Ernesto Zedillo. Compatissants, les Quatorze
n'ont donc écouté que leur coeur et ont accepté de
prendre la pose, la rage au ventre, en compagnie de Schüssel le pestiféré.
Hélas, la malchance s'en est mêlée: Zedillo, apparemment
inconscient des sacrifices auxquels les quatorze conjurés consentaient
pour lui, s'est présenté avec quelques instants de retard,
si bien que les photographes ont eu le temps d'immortaliser les Quinze
chefs d'État et de gouvernement au grand complet sans leur hôte
mexicain. Ivre de bonheur, le ministre autrichien des affaires étrangères,
s'est répandu en propos émus auprès de la presse:
il y a eu une photo de famille avec l'Autriche! Pas du tout, lui répliqua-t-on.
Il ne s'agit pas d'une «photo de famille», mais "d'une «photo
de groupe», comme M.Guterres et les écrans géants des
salles de presse avaient pudiquement rebaptisé la traditionnelle
photo de famille du sommet." (Le Monde 26/03/00)
L'Autriche pestiférée
|
|
Benita Ferrero-Waldner
(ministre autrichien des affaires étrangères), Wolfgang Schüssel
(chancelier autrichien encravaté!), António Guterres (premier
ministre portugais) |
Les deux précédents
avec Romano Prodi (président de la comm') et Lamberto Dini (ministre
italien des affaires étrangères) |
L'Autriche mord enfin la
poussière Après ces deux échecs, les Quatorze
réussirent enfin à humilier l'Autriche: dans le bus qui transportait
les délégations de la réunion au déjeuner,
"Schüssel s'est retrouvé au fond du bus, à côté
du Premier ministre irlandais, Bertie Ahern, avec qui il a entamé
une conversation animée. Symboliquement, le moteur franco-allemand
s'est quasiment retrouvé aux commandes du bus, Jacques Chirac et
Gerhard Schröder trônant fièrement côte à
côte juste derrière le chauffeur." (Libération
24/03/00). Et ce n'est pas tout: Schüssel prit
la parole à la fin du dîner: "le chancelier autrichien
a été particulièrement déçu que personne,
à part le Premier ministre portugais Antonio Guterres, président
en exercice de l'Union européenne, ne réponde à son
exposé fait jeudi soir à la fin du dîner des 15 dirigeants
européens." (AFP 24/03/00 12h13)
Quel camouflet cinglant! Schüssel va-t-il s'en relever? L'histoire
ne dit toutefois pas si le discours du chancelier autrichien fut volontairement
snobé ou si l'état d'ébriété des convives
en cette fin de dîner ne permettait plus à ceux-ci d'articuler
une réponse.
On le voit, les quatorze
ont été d'une fermeté admirable, et comme on se sent
fier d'être européen après ces deux mémorables
journées de Lisbonne.
L'Europe
du futur
On s'en doute, les Quinze
n'étaient pas venus à Lisbonne uniquement pour causer quelques
blessures d'amour propre à Schüssel. C'est à une tâche
beaucoup plus ample que les Quinze se sont attelés: l'Union européenne
veut "devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive
et la plus dynamique, capable d'une croissance économique durable
accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative
de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale".
Un style éblouissant
Comme c'est toujours le cas avec l'abondante littérature que pond
l'Union européenne, l'aspect le plus frappant du texte adopté
par les Quinze, a été son style éblouissant: chaque
paragraphe est un enchantement. Pouvait-il en être autrement? Un
texte qui a reçu l'imprimatur de Jacques Chirac ne pouvait pas être
un charabia indigeste... (L'intégralité de ce document est
disponible sur le site
du Conseil européen ou sur le
nôtre (100 Ko).)
Pour atteindre ses objectifs
ambitieux:
-
ll faut "exploiter pleinement
le potentiel électronique (sic) de l’Europe" (résolution
n°3).
-
Il est question "de droit
d'auteur et de droits voisins" à adapter, sans préciser
ce que peut bien être un «droit voisin»(n°11).
-
Il faut "dégrouper
les boucles locales (sic) de manière à permettre une
réduction substantielle des coûts de l'utilisation de l'Internet".
(idem) Favoriser la concurrence dans les télécommunications
locales était plat et compréhensible par tous, il est donc
plus chic de parler de "dégrouper les boucles locales".
-
Il convient de poursuivre "des
objectifs horizontaux (sic) d'intérêt communautaire,
tels que l'emploi, le développement régional, l'environnement
et la formation ou la recherche." (n°17) Le texte reste hélas
muet sur les objectifs verticaux de l'Europe.
-
Il est urgent d' "améliorer
la comparabilité (sic) des états financiers (re-sic)
des sociétés" (n°21). Comment la langue française
a-t-elle pu jusqu'à présent se passer de ce joli mot de «comparabilité»,
qui a une indispensabilité incontestable?
-
Les quinze recommandent de "régler,
eu égard aux conclusions du Conseil européen d'Helsinki,
le dossier, encore en suspens, du paquet fiscal.(sic)" (n°21).
Que peut donc être un paquet fiscal? Un paquet cadeau?
-
Il faut "assurer la viabilité
à long terme des finances publiques en examinant les différents
aspects de la question, y compris l'impact du vieillissement des populations,
à la lumière du rapport devant être établi par
le Groupe à haut niveau (sic) sur la protection sociale."
(n°23) On ignore qui est ce «Groupe à haut niveau sur
la protection sociale» qui doit pondre un rapport. Vraisemblablement
l'importance de sa fonction n'a d'égale que l'élégance
de son titre.
-
Il faut "accroître
l'emploi dans les services, y compris les services personnels (sic)."
(n°29) Ces services personnels ne sont-ils pas plutôt les services
aux particuliers?
-
Il faudra "arriver en décembre,
au Conseil européen de Nice, à un accord sur un agenda social
(sic) européen intégrant les initiatives des différents
partenaires concernés." (n°34)
Vers l'Europe du futur
Mais le style n'est pas tout: le contenu du document adopté par
les Quinze est lui aussi, alléchant.
Du très long texte,
il ressort que l'Europe veut
-
s'engager dans la nouvelle économie
liée à internet
-
moderniser son «modèle
social»
Du libéralisme?
En bref, l'Europe va faire du blairisme: de l'ultralibéralisme
pour Viviane Forrester, Le Monde et Libération et
(hélas!) pas mal de «souverainistes»: "Ce savant
mélange de libéralisme et de social-démocratie, où
la dérégulation est tempérée par un filet social
minimum, où l'Etat ne joue plus qu'un rôle régulateur
propre à favoriser l'activité économique, est désormais
érigé en modèle par les Quinze, si l'on en croit les
«conclusions» de ce sommet." se lamente Libération
(25/03/00). "Le sommet européen
de Lisbonne entérine une vision libérale de l'avenir de l'Europe"
renchérit Le Monde (26-27/03/00).
De l'infralibéralisme pour les vrais libéraux: les Européens
"se trompent quand ils voient [l'innovation] comme un subsitut partiel
aux réformes économiques et aux réformes du marché
du travail en particulier (...) Il n'y a pas un mot dans les conclusions
de Lisbonne, sur , par exemple, la baisse des taux marginaux d'imposition,
de manière à ce que ceux qui prennent le plus de risques
dans la nouvelle économie puisse garder le fruit de leur travail.
Il n'y a pas un mot sur la manière de rendre moins coûteux
et moins compliqué les licenciements, ou sur la manière d'encourager
une immigration qualifiée." (The Economist 01-06/04/00).
Libéral ou pas libéral le texte des Européens? La
réponse dépend bien entendu des points de vue et n'est pas
l'objet de ce site.
La nouvelle économie.
C'est là la prodigieuse innovation du sommet: avoir découvert
que les emplois de l'avenir sont peut-être plus liés à
l'informatique qu'aux mines de charbon! Sans l'Europe, les quinze pays
auraient-ils fait une si audacieuse découverte? Non bien sûr!
Et le fait que la Norvège (qui n'est pas membre de l'UE) devance
nettement la France ou l'Allemagne dans la nouvelle économie est
une des grandes énigmes de notre temps...
e-Europe: l'informatique,
c'est l'avenir
|
|
Le site
du sommet a mis en pratique la nouvelle passion des 15 pour l'informatique,
en illustrant sa page par cette somptueuse animated gif. |
Des animated
gif à la c***, moi aussi je peux en faire... |
Tout fiers de leur trouvaille,
les Quinze vont mettre un «plan global d'action», judicieusement
baptisé eEurope, qui, personne n'en doute, va permettre à
l'UE de dépasser les Américains, ces attardés qui
n'ont jamais pensé à adopter un «plan global d'action»
eAmerica et ont laissé le développement de la nouvelle économie
à l'initiative privée ou locale...
La
vraie bonne nouvelle du sommet: la France est isolée, la blague
du «couple franco-allemand, moteur de l'Europe» se dégonfle
un peu plus
Le seul moment de bonheur
de ce sommet aura été de constater l'isolement de la France:
les 14 partenaires européens souhaitaient fixer une date pour la
privatisation de l'électricité, des télécoms,
et de la poste. Chirac et Jospin s'y sont opposés. "Jeudi, la
France s'est signalée par sa résistance à la vaste
dérégulation de l'économie européenne, mettant
à nu de profondes divisions à un sommet de l'Union européenne
prévu pour adapter l'Europe à l'innovation technique et apporter
le plein emploi aux Européens.(...) Cette position a brouillé
la France avec la plupart de ses partenaires de l'UE qui ont paru prêts
à s'engager dès à présent sur un train de mesures
destinées à amener l'UE aux niveaux américains pour
le dynamisme et la compétitivité." écrit le Financial
Times (24/03/2000).
El país
(24/03/00)
analyse que "le sommet de la nouvelle économie a tourné
en un affrontement entre la France, avocate presque isolée du maintien
d'un secteur public fort dans l'économie européenne, et les
autres pays. L'Allemagne, l'arbitre de la plupart des querelles communautaires
par son poids politique et économique, s'est rangée davantage
aux positions libérales du Royaume-Uni et de l'Espagne qu'aux thèses
de son allié politique traditionnel." Dans l'édition
du lendemain, El
país (25/03/00)
voit dans le compromis obtenu par la France (ne pas privatiser immédiatement
l'énergie et les transports) "Une preuve du poids spécifique
de la France au Conseil européen, mais une preuve également
que ce poids, s'il peut lui servir pour parer des coups ponctuels, n'a
pu influencer la tendance dominante".
Est-il nécessaire
de souligner à quel point il est réjouissant de voir la France
isolée en Europe? Ce sommet, si ridicule par ailleurs, aura au moins
servi à déboulonner un peu plus le mythe de «l'Europe
multiplicateur de puissance» qu'agitent si frénétiquement
les européistes français pour justifier la construction européenne:
«l'Europe permet d'ajouter la puissance des Quinze et d'exercer collectivement
une souveraineté que la France seule ne peut plus exercer»,
affirme le catéchisme européiste. Le sommet de Lisbonne aura
permis de démentir cette prétendue évidence: l'Europe
ne peut renforcer la puissance de la France que si ses 14 partenaires partagent
ses idées. On savait déjà que c'est rarement le cas
en politique étrangère, les 14 autres ne partageant pas la
méfiance française envers les États-Unis. C'est maintenant
évident pour la politique économique: Jospin et Chirac, ces
deux braves européistes, viennent de découvrir que les autres
pays européens, ne partagent pas nécessairement leurs idées
économiques.
Jospin et Chirac en tireront-ils
les conclusions logiques: ne pas fédéraliser à l'aveuglette?
Il est à parier qu'il n'en sera rien, bien au contraire. Nos deux
amis ont annoncé qu'ils utiliseraient la présidence française
de l'UE (à partir de juillet 2000) notamment pour tenter d'étendre
le champ des décisions prises à la majorité qualifiée.
Le fait que la France aurait été mise en très nette
minorité, s'il y avait eu un vote à Lisbonne sur la privatisation
des services publics, ne les effleurera même pas. Ils mettront en
place une fédéralisation dont ils pleureront ensuite les
conséquences. Et dans quelques années, il arrivera un remake
de la ridicule affaire du boeuf anglais. La France se mettra en infraction
avec des décisions que l'inconsistance de ses dirigeants aura permis
de déléguer à Bruxelles. Et de la même façon
que Jospin et Chirac jouent les Jeanne d'Arc du steak-frites, boutant le
boeuf anglais hors de France sans remettre en cause la réglementation
européenne qui a conduit à la crise actuelle, demain nos
deux amis se déguiseront en Jean Moulin des services publics ou
d'une autre particularité française, quand l'Europe voudra
les démanteler. Pourquoi se priver de cette aimable comédie,
puisque personne ou presque ne viendra leur rappeler que c'est la fédéralisation
de l'Europe à laquelle eux-même ont consenti qu'il faut incriminer?
Il paraît qu'en 2002,
le choix des Français ne pourra se porter que sur l'un de ces deux
pompiers pyromanes
|
|
|
Adresses
de la page
|
www.chez.com/euroscepticisme |
www.respublica.fr/euroscepticisme |
|