ACTUALITÉ
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Quelques commentaires, sérieux ou frivoles,
sur l'actualité européenne.
Francité
 


Le sommet de Lisbonne fut bien un sommet02 avril 2000

Les Quinze se sont réunis les 23 et 24 mars à Lisbonne pour un sommet. Ce sommet a été une réussite totale: par le traitement qu'elle a réservé à l'Autriche, l'Europe a réaffirmé ses valeurs de manière spectaculaire; en découvrant que l'économie de demain sera liée davantage à l'informatique qu'aux mines de charbon, l'Europe a montré sa perspicacité et sa clairvoyance. Enfin, ce sommet aura permis de mesurer la chance qu'a la France d'avoir à sa tête deux grands hommes d'État.
L'Europe grotesque
Le sommet de Lisbonne était la première rencontre au sommet de l'Union européenne depuis l'accession au pouvoir du chancelier autrichien Wolfgang Schüssel soutenu par le parti de Jörg Haider. Comment allaient se comporter les quatorze conjurés qui avaient décrété l'isolement de l'Autriche en février? En s'inspirant de Martine Aubry et de sa collègue belge, le ministre de l'emploi Laurette Onkelinx qui avaient quitté la salle quand le ministre autrichien ouvrit la bouche, lors d'une réunion des ministres du travail de l'UE le 11 février 2000? Non, car cette attitude n'avait guère été appréciée par les autres ministres: "Les douze autres pays sont restés. Commentant la sortie franco-belge, le ministre allemand Walter Reister (social-démocrate) a trouvé que ce geste «n'était pas constructif». Plus dur, son collègue néerlandais Klaas de Vries (socialiste) l'a même jugé «totalement ridicule»." (Libération 12/02/00) Totalement ridicule, Martine Aubry? Ce Batave impertinent a-t-il oublié que c'est de la fille de Jacques Delors qu'il parle ainsi? Quelques semaines après la sortie de Martine Aubry, lors d'une réunion des ministres des affaires étrangères, les Quatorze renoncèrent à quitter la salle: il est vrai que le ministre autrichien, Benita Ferrero-Waldner, avait prévenu qu'elle participerait aux débats par plusieurs brèves interventions. Faire d'incessantes allées et venues entre la salle et le couloir a été jugé, on se demande pourquoi, peu digne. Le recours aux boules Quies, que les 14 excellences auraient pu enlever et remettre lors des interventions de l'Autrichienne, ne semble pas avoir été envisagé.
Après ces deux précédents au succès équivoque, l'attitude des quatorze chefs d'État et de gouvernement était très attendue: cette attente ne fut pas déçue. L'Union européenne a été d'une tenue exemplaire, mêlant indifférence et réprobation. Hélas, il y eut quelques contretemps.


Où s'arrêteront les provocations fascistes? Schüssel a délaissé son noeud-papillon et est venu avec une cravate!

 

Le noeud-pap Puisqu'il ne semblait pas possible d'interdire aux Autrichiens l'accès aux réunions, au moins les Quatorze allaient ils leur témoigner froideur et réprobation. Comme il se doit, la France montrerait l'exemple: Christian Sautter, qui savourait ses derniers jours de ministre de l'économie du gouvernement Jospin, s'apprêtait à être d'une bravoure exemplaire: au mépris du danger,  il allait "arborer son autocollant favori qui représente un nœud papillon barré d'un interdit, en référence à l'accessoire vestimentaire favori de Schüssel." (Libération 23/03/00)

Las! Wolfgang Schüssel eut la fourberie de venir au sommet avec une cravate! Cet Autrichien est bien un authentique fasciste. L'infortuné Sautter ne put donc pas marquer ses derniers jours de ministre d'un coup d'éclat qu'il narrerait encore avec émotion dans dix ans à ses petits enfants. Les héros qui mettent leur vie en danger pour leurs idées sont décidément bien mal récompensés.


Une photo de groupe et non pas une photo de famille

 

Photo de famille ou photo de groupe? Chirac, Jospin et le ministre belge des affaires étrangères étaient très fermes sur un point: pas question de se laisser photographier en compagnie du chancelier autrichien pour la traditionnelle «photo de famille» qui clôt les sommets européens! Il en allait de leur honneur. Un contretemps fâcheux est venu hélas contrecarrer la résolution des trois héros. Le président mexicain Ernesto Zedillo était venu à Lisbonne signer un accord de libre échange avec l'Union européenne. Les Quatorze pouvaient-ils laisser partir leur hôte désespéré sans une photo où le président mexicain trône fièrement aux côtés des Européens?

C'eût été cruel car poser en compagnie de Chirac, Jospin, Blair et des autres gloires de l'Union européenne est une chance qui ne se représentera peut-être plus pour Ernesto Zedillo. Compatissants, les Quatorze n'ont donc écouté que leur coeur et ont accepté de prendre la pose, la rage au ventre, en compagnie de Schüssel le pestiféré. Hélas, la malchance s'en est mêlée: Zedillo, apparemment inconscient des sacrifices auxquels les quatorze conjurés consentaient pour lui, s'est présenté avec quelques instants de retard, si bien que les photographes ont eu le temps d'immortaliser les Quinze chefs d'État et de gouvernement au grand complet sans leur hôte mexicain. Ivre de bonheur, le ministre autrichien des affaires étrangères, s'est répandu en propos émus auprès de la presse: il y a eu une photo de famille avec l'Autriche! Pas du tout, lui répliqua-t-on. Il ne s'agit pas d'une «photo de famille», mais "d'une «photo de groupe», comme M.Guterres et les écrans géants des salles de presse avaient pudiquement rebaptisé la traditionnelle photo de famille du sommet." (Le Monde 26/03/00)

L'Autriche pestiférée
Benita Ferrero-Waldner (ministre autrichien des affaires étrangères), Wolfgang Schüssel (chancelier autrichien encravaté!), António Guterres (premier ministre portugais) Les deux précédents avec Romano Prodi (président de la comm') et Lamberto Dini (ministre italien des affaires étrangères)

L'Autriche mord enfin la poussière Après ces deux échecs, les Quatorze réussirent enfin à humilier l'Autriche: dans le bus qui transportait les délégations de la réunion au déjeuner, "Schüssel s'est retrouvé au fond du bus, à côté du Premier ministre irlandais, Bertie Ahern, avec qui il a entamé une conversation animée. Symboliquement, le moteur franco-allemand s'est quasiment retrouvé aux commandes du bus, Jacques Chirac et Gerhard Schröder trônant fièrement côte à côte juste derrière le chauffeur." (Libération 24/03/00). Et ce n'est pas tout: Schüssel prit la parole à la fin du dîner: "le chancelier autrichien a été particulièrement déçu que personne, à part le Premier ministre portugais Antonio Guterres, président en exercice de l'Union européenne, ne réponde à son exposé fait jeudi soir à la fin du dîner des 15 dirigeants européens." (AFP 24/03/00 12h13) Quel camouflet cinglant! Schüssel va-t-il s'en relever? L'histoire ne dit toutefois pas si le discours du chancelier autrichien fut volontairement snobé ou si l'état d'ébriété des convives en cette fin de dîner ne permettait plus à ceux-ci d'articuler une réponse.
On le voit, les quatorze ont été d'une fermeté admirable, et comme on se sent fier d'être européen après ces deux mémorables journées de Lisbonne.
L'Europe du futur
On s'en doute, les Quinze n'étaient pas venus à Lisbonne uniquement pour causer quelques blessures d'amour propre à Schüssel. C'est à une tâche beaucoup plus ample que les Quinze se sont attelés: l'Union européenne veut "devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale".
Un style éblouissant Comme c'est toujours le cas avec l'abondante littérature que pond l'Union européenne, l'aspect le plus frappant du texte adopté par les Quinze, a été son style éblouissant: chaque paragraphe est un enchantement. Pouvait-il en être autrement? Un texte qui a reçu l'imprimatur de Jacques Chirac ne pouvait pas être un charabia indigeste... (L'intégralité de ce document est disponible sur le site du Conseil européen  ou sur le nôtre (100 Ko).)


Pour atteindre ses objectifs ambitieux: Vers l'Europe du futur Mais le style n'est pas tout: le contenu du document adopté par les Quinze est lui aussi, alléchant.
Du très long texte, il ressort que l'Europe veut
  1. s'engager dans la nouvelle économie liée à internet
  2. moderniser son «modèle social»

Du libéralisme? En bref, l'Europe va faire du blairisme: de l'ultralibéralisme pour Viviane Forrester, Le Monde et Libération et (hélas!) pas mal de «souverainistes»: "Ce savant mélange de libéralisme et de social-démocratie, où la dérégulation est tempérée par un filet social minimum, où l'Etat ne joue plus qu'un rôle régulateur propre à favoriser l'activité économique, est désormais érigé en modèle par les Quinze, si l'on en croit les «conclusions» de ce sommet." se lamente Libération (25/03/00). "Le sommet européen de Lisbonne entérine une vision libérale de l'avenir de l'Europe" renchérit Le Monde (26-27/03/00). De l'infralibéralisme pour les vrais libéraux: les Européens "se trompent quand ils voient [l'innovation] comme un subsitut partiel aux réformes économiques et aux réformes du marché du travail en particulier (...) Il n'y a pas un mot dans les conclusions de Lisbonne, sur , par exemple, la baisse des taux marginaux d'imposition, de manière à ce que ceux qui prennent le plus de risques dans la nouvelle économie puisse garder le fruit de leur travail. Il n'y a pas un mot sur la manière de rendre moins coûteux et moins compliqué les licenciements, ou sur la manière d'encourager une immigration qualifiée." (The Economist 01-06/04/00). Libéral ou pas libéral le texte des Européens? La réponse dépend bien entendu des points de vue et n'est pas l'objet de ce site.
La nouvelle économie. C'est là la prodigieuse innovation du sommet: avoir découvert que les emplois de l'avenir sont peut-être plus liés à l'informatique qu'aux mines de charbon! Sans l'Europe, les quinze pays auraient-ils fait une si audacieuse découverte? Non bien sûr! Et le fait que la Norvège (qui n'est pas membre de l'UE) devance nettement la France ou l'Allemagne dans la nouvelle économie est une des grandes énigmes de notre temps...


e-Europe: l'informatique, c'est l'avenir
Le site du sommet a mis en pratique la nouvelle passion des 15 pour l'informatique, en illustrant sa page par cette somptueuse animated gif. Des animated gif à la c***, moi aussi je peux en faire...

Tout fiers de leur trouvaille, les Quinze vont mettre un «plan global d'action», judicieusement baptisé eEurope, qui, personne n'en doute, va permettre à l'UE de dépasser les Américains, ces attardés qui n'ont jamais pensé à adopter un «plan global d'action» eAmerica et ont laissé le développement de la nouvelle économie à l'initiative privée ou locale...
La vraie bonne nouvelle du sommet: la France est isolée, la blague du «couple franco-allemand, moteur de l'Europe» se dégonfle un peu plus
Le seul moment de bonheur de ce sommet aura été de constater l'isolement de la France: les 14 partenaires européens souhaitaient fixer une date pour la privatisation de l'électricité, des télécoms, et de la poste. Chirac et Jospin s'y sont opposés. "Jeudi, la France s'est signalée par sa résistance à la vaste dérégulation de l'économie européenne, mettant à nu de profondes divisions à un sommet de l'Union européenne prévu pour adapter l'Europe à l'innovation technique et apporter le plein emploi aux Européens.(...) Cette position a brouillé la France avec la plupart de ses partenaires de l'UE qui ont paru prêts à s'engager dès à présent sur un train de mesures destinées à amener l'UE aux niveaux américains pour le dynamisme et la compétitivité." écrit le Financial Times (24/03/2000). El país (24/03/00) analyse que "le sommet de la nouvelle économie a tourné en un affrontement entre la France, avocate presque isolée du maintien d'un secteur public fort dans l'économie européenne, et les autres pays. L'Allemagne, l'arbitre de la plupart des querelles communautaires par son poids politique et économique, s'est rangée davantage aux positions libérales du Royaume-Uni et de l'Espagne qu'aux thèses de son allié politique traditionnel." Dans l'édition du lendemain, El país (25/03/00) voit dans le compromis obtenu par la France (ne pas privatiser immédiatement l'énergie et les transports) "Une preuve du poids spécifique de la France au Conseil européen, mais une preuve également que ce poids, s'il peut lui servir pour parer des coups ponctuels, n'a pu influencer la tendance dominante".
Est-il nécessaire de souligner à quel point il est réjouissant de voir la France isolée en Europe? Ce sommet, si ridicule par ailleurs, aura au moins servi à déboulonner un peu plus le mythe de «l'Europe multiplicateur de puissance» qu'agitent si frénétiquement les européistes français pour justifier la construction européenne: «l'Europe permet d'ajouter la puissance des Quinze et d'exercer collectivement une souveraineté que la France seule ne peut plus exercer», affirme le catéchisme européiste. Le sommet de Lisbonne aura permis de démentir cette prétendue évidence: l'Europe ne peut renforcer la puissance de la France que si ses 14 partenaires partagent ses idées. On savait déjà que c'est rarement le cas en politique étrangère, les 14 autres ne partageant pas la méfiance française envers les États-Unis. C'est maintenant évident pour la politique économique: Jospin et Chirac, ces deux braves européistes, viennent de découvrir que les autres pays européens, ne partagent pas nécessairement leurs idées économiques.
Jospin et Chirac en tireront-ils les conclusions logiques: ne pas fédéraliser à l'aveuglette? Il est à parier qu'il n'en sera rien, bien au contraire. Nos deux amis ont annoncé qu'ils utiliseraient la présidence française de l'UE (à partir de juillet 2000) notamment pour tenter d'étendre le champ des décisions prises à la majorité qualifiée. Le fait que la France aurait été mise en très nette minorité, s'il y avait eu un vote à Lisbonne sur la privatisation des services publics, ne les effleurera même pas. Ils mettront en place une fédéralisation dont ils pleureront ensuite les conséquences. Et dans quelques années, il arrivera un remake de la ridicule affaire du boeuf anglais. La France se mettra en infraction avec des décisions que l'inconsistance de ses dirigeants aura permis de déléguer à Bruxelles. Et de la même façon que Jospin et Chirac jouent les Jeanne d'Arc du steak-frites, boutant le boeuf anglais hors de France sans remettre en cause la réglementation européenne qui a conduit à la crise actuelle, demain nos deux amis se déguiseront en Jean Moulin des services publics ou d'une autre particularité française, quand l'Europe voudra les démanteler. Pourquoi se priver de cette aimable comédie, puisque personne ou presque ne viendra leur rappeler que c'est la fédéralisation de l'Europe à laquelle eux-même ont consenti qu'il faut incriminer?
Il paraît qu'en 2002, le choix des Français ne pourra se porter que sur l'un de ces deux pompiers pyromanes


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