ACTUALITÉ
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Quelques commentaires, sérieux ou frivoles,
sur l'actualité européenne


Bon anniversaire l'euro! (janvier 2000)
L'euro a un an! Pour fêter l'heureux événement, la commission européenne, le ministère de l'économie et des finances et celui des affaires européennes se sont cotisés pour offrir au chérubin un cadeau digne de lui: une pleine page de pub à sa gloire dans divers quotidiens. Certes l'euro en question n'est pas un très beau bébé: un an après sa naissance, il donne l'impression d'avoir été bercé trop près du mur. Il a perdu 15% de sa valeur face au dollar, presque 20% face au yen et environ 12% face à la livre. Mais, lors d'un anniversaire, on n'aborde pas les sujets qui fâchent. L'euro est estropié mais il a de bonnes joues. Et le texte de propagande n'est pas avare de compliments sur ces bonnes joues:

«L'euro a 1 an! Et il s'est affirmé comme une grande monnaie internationale et comme une formidable vitamine de croissance pour notre économie. Bon pour l'emploi, bon pour la maîtrise des prix, bon pour les échanges commerciaux. Depuis sa naissance, l'euro participe à notre bonne santé économique. Une bonne nouvelle qui nous concerne tous: particuliers et entreprises. Alors, en attendant d'avoir l'euro dans nos poches et de lui souhaiter une bonne année le 1er janvier 2002, on a tous de bonnes raisons de lui dire aujourd'hui: Bon Anniversaire l'euro!»


 
 

La croissance? l'emploi? l'inflation maîtrisée? Tous ces bienfaits sont donc dus à un gosse d'un an? Pas de doute, ce petit euro est un génie, malgré sa sale gueule et ses airs faiblards. Il est vrai que dans le regard de ses parents, l'enfant le plus laid et le plus idiot du monde est toujours un petit Apollon mâtiné d'Einstein. Car si l'on examine les statistiques et les prévisions de l'«Euroland», et qu'on les compare à celles des pays qui ont eu le mauvais goût de ne pas adopter l'euro, la balance semble pencher en faveur de ces derniers.


Une formidable vitamine de croissance pour notre économie?
Bon pour la maîtrise des prix?
Inflation¹
Croissance du PIB
¹variation annuelle, en %
Source: Bulletin de la DG 2 de la Commission (24/11/99)

Qu'il s'agisse de l'inflation ou de la croissance, on constate que les chiffres sont quasiment identiques dans l'«Euroland» et dans le reste de l'Union européenne. L'inflation devrait s'élever à 1,5% en l'an 2000 en Europe, que les pays aient adopté l'euro ou non. Mieux, la croissance devrait être légèrement inférieure (2,9%) dans l''«Euroland» que dans le reste de l'UE (qui devrait avoir 3,0%). Et que dire du rôle de «bouclier protecteur» contre les turbulences venues de Russie ou du Brésil que l'euro était censé jouer? Le tableau ci dessus règle le compte de cette sornette: un pays comme la Suède (qui n'est pas dans l''«Euroland») a eu une croissance en 99 de 3,7%, alors que l'Allemagne a dû se contenter de 1,5%. Ce n'est pas l'appartenance à la zone euro, mais probablement la consommation intérieure  qui a favorisé une croissance soutenue.

Bon pour l'emploi?

Source: bulletin Eurostat News n°120-99
disponible sur le site d'Eurostat (au format PDF)

Le tableau précédent, tiré du bulletin officiel Eurostat News, montre que le chômage est supérieur dans la zone euro (9,9%) à la moyenne de l'Union européenne (9,1%).


       
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L'«Euroland» (UE-11) n'est pas seulement la zone de l'Europe où le chômage est le plus élevé. Quelle que soit la zone que l'on considère, l'«Euroland» est la plus calamiteuse. L'OCDE dans son ensemble fait mieux,

le G 7 également, de même que l'Europe occidentale (OCDE Europe). (Voir l'extrait du tableau ci-contre. Tableau général)
Un triomphe public Si la participation à l'euro n'a été bénéfique ni en terme de croissance, ni en terme d'emploi, ni en terme d'inflation, à quoi donc a-t-elle pu bien servir?  Poser la question révèle un esprit étroitement matérialiste et mesquin. Être dans l'«Euroland» constitue avant tout une formidable aventure et un rêve grandiose!
Les citoyens et les entreprises en sont-ils conscients? Hélas non. "L'euro n'est pas devenu encore l'affaire des Européens" se désole Le Monde (édito 5/1/00). "À cause d'une période de transition bien trop longue -pièces et monnaies n'arriveront dans nos porte-monnaie qu'au 1er janvier 2002-, ils s'en désintéressent. Un ménage sur cent à peine a jusqu'à présent payé au moins une fois une facture en euros. Les entreprises ne sont pas davantage sensibilisées: en France par exemple, 8% d'entre elles règlent leurs impôts en euros, un pourcentage faible et qui ne progresse pas".
En réalité, ces chiffres sont grossièrement surévalués: l'utilisation de l'euro est encore plus insignifiante, si l'on en croit un article du même journal (9/11/99): "Les chiffres, désormais fiables, révèlent un encéphalogramme plat: Selon l'Association Française des Banques (AFB), la proportion d'opérations en euros recensées en septembre n'a pas dépassé 0,08% pour les chèques, 0,14% pour les virements et 0,02% pour les paiements par carte bancaire. (...) Dans l'ensemble, non seulement l'euro n'a pas eu le succès de curiosité auquel s'attendaient les pouvoirs publics, mais la date où les Français envisagent de l'adopter pour de bon semble s'éloigner avec le temps. Ouvrir un compte en euro avant 2002? Selon l'enquête périodique de l'AFB, 50% de nos concitoyens en avaient l'intention en 1998 -mais il n'en reste que 16% aujourd'hui... Même recul du côté des entreprises : selon plusieurs études concordantes, celles qui déclarent vouloir attendre le dernier moment (début 2002) pour opérer leur conversion sont maintenant majoritaires."
L'euro a un encéphalogramme plat? Tout le monde se détourne de lui? N'en jetez plus! Mais bon anniversaire quand même, l'euro!


 

Les Dupont et Dupond de l'Europe fédérale (janvier 2000)
Un député RPF, d'habitude mieux inspiré, a cru pouvoir affirmer que "le besoin d'État- nation est revenu au cœur du discours politique. Jacques Chirac et Lionel Jospin l'ont bien compris dans leurs vœux respectifs. L'État- nation sera sans aucun doute le principal enjeu de l'élection présidentielle de 2002." (Libération 6/1/00) Les deux excellences de ce qu'il reste de la République se sont certes fendues de quelques vagues phrases sur l'État et la nation, mais peut-on en conclure que Chirac et Jospin ont été touchés par la grâce? Cela semble imprudent tellement ces déclarations de principe étaient enrobées dans des discours où l'européisme restait toujours aussi hystérique.
Au cours des dernières semaines, nos deux amis se sont livrés à un charmant numéro de duettistes européistes, de Dupond et Dupont de l'Europe fédérale: que ce soit à Strasbourg devant le nouveau «parlement» européen le 14 décembre 99, dans ses voeux aux Français le 31 ou au Corps diplomatique le 4 janvier pour Chirac, dans ses voeux au président de la République le jour précédent pour Jospin, le président et le premier ministre ont chanté les louanges de leur Europe, pour les mêmes motifs et quasiment en les mêmes termes. Dès que Dupond- Chirac assure que construire l'Europe est un rêve formidable pour telle raison, aussitôt Dupont- Jospin acquiesce et dirait même plus que construire l'Europe est un rêve formidable pour telle raison.

L'Europe, c'est la paix Pour Chirac, pas de doute, construire l'Europe c'est faire le choix d'une "Europe [qui] nous garantit la paix" (1). Jospin dirait même plus et ajoute que "l'Europe, c'est une union des nations. Une union au service de la paix" (2)
L'Europe, c'est une civilisation Mais au fond l'Europe, c'est quoi? Pour Jospin, il n'y a pas d'hésitations à avoir: l'Europe est "une union fondée sur l'appartenance à une même civilisation. Une civilisation façonnée par l'histoire, riche de la diversité de ses cultures" (2). Chirac approuve sans réserve, et dirait même plus devant les «parlementaires» de Strasboug: "Avec la Renaissance et pendant cinq siècles, l'Europe a su bâtir une civilisation rayonnante. Puis le choc de nationalismes exacerbés et la négation radicale de nos valeurs ont entraîné notre continent, et avec lui monde, dans deux guerres terribles qui ont cassé, effacé l'Europe." (3) Il semble que pour l'historien Chirac, la période qui sépare la Renaissance du XXè siècle ait été un chemin parsemé de pétales de roses. La guerre de Trente Ans ou les guerres napoléoniennes qui ont ravagé l'Europe sont apparemment négligeables. Chirac est tellement satisfait de son développement historique, qu'il l'a resservi aux ambassadeurs quelques semaines plus tard: "Avec la Renaissance et pendant cinq siècles, l'Europe a su bâtir une civilisation rayonnante. Puis le choc de nationalismes exacerbés et la négation radicale de nos valeurs ont entraîné notre continent, et le monde avec lui, dans deux guerres terribles qui ont cassé, effacé l'Europe." (4)
L'Europe c'est un modèle social L'Europe, assure Chirac est "un modèle social, ancré dans notre histoire commune et fondé sur une tradition de négociation collective, une protection contre les aléas de l'existence, un État garant de la cohésion sociale." (3) Jospin opine et dirait même plus que L'Europe est "forte d'un modèle de développement que nous avons voulu fonder sur l'efficacité économique et la justice sociale" (2)
L'Europe maîtrise la mondialisation Pour Chirac, construire l'Europe, c'est choisir "une mondialisation maîtrisée, organisée, respectueuse de l'environnement, capable de prendre en compte les aspirations des hommes et capable de faire reculer la pauvreté." (1) Jospin acquiesce et dirait même plus que l'Europe permet de refuser "les dangers d'une  mondialisation débridée, mue par un capitalisme sauvage. Face à l'appétit souvent excessif des intérêts marchands, les droits de la personne humaine, la qualité de notre environnement et de nos ressources, doivent être défendus." (2)
L'Europe comme levier pour peser dans le monde Quel est le principal atout de l'Europe? "L'Europe nous permet de peser davantage dans le monde" (1) assure Chirac. Tout à fait, réplique Jospin, qui dirait même plus que "'Europe est aussi une façon de nous donner, comme Français et comme Européens, les moyens de peser mieux sur le cours des choses" (2)
Une Europe puissante Les Européens, affirme Chirac, "veulent une Europe puissante. Une Europe capable d'apporter toute sa contribution à la construction d'un monde prospère et en paix. Une Europe qui s'affirme comme l'un des pôles majeurs de l'équilibre mondial." (3) Jospin en convient et dirait même plus que tel est l'avenir que "veulent les Français: (...) une Europe forte et contribuant à donner au monde les règles indispensables à sa stabilité et à sa prospérité (2)

Sur le site officiel de Tintin, Dupond et Dupont sont décrits ainsi: "bornés, ils obéissent aveuglément aux ordres. Bêtes mais prétentieux, maladroits et solennels, ils sont plus gaffeurs que méchants. Leur ressemblance est extraordinaire: bien qu’ils ne soient ni jumeaux ni même frères, rien ne les distingue à première vue. Seule la forme de la moustache diffère." On ne peut pas reconnaître Chirac et Jospin dans ce portrait: ils ne portent pas de moustache.
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(1) Voeux de Chirac aux Français le  31/12/99 (2) Voeux de Jospin au président de la République  (3/1/2000) (3) Discours de Chirac devant le «parlement» européen le 14/12/99. (4) Voeux de Chirac au corps diplomatique le 4/1/2000. On peut consulter ces discours ici



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