Le textile français règle ses comptes
avec Bruxelles
Les entreprises ne rembourseront «que» 500 millions.
Par HERVÉ NATHAN
Le samedi 19 et dimanche 20 juin 1999 
 
 
 
 

Le gouvernement français 
a négocié une réduction 
du remboursement de 
800 à 500 millions de francs.

  Christian Pierret a divisé d'un tiers la facture de Franck Borotra. Le secrétaire d'Etat à l'Industrie était bien fier de pouvoir annoncer hier, dans les Echos, qu'un millier d'entreprises du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure n'auraient à rembourser «que» 500 millions de francs sur les aides que l'Etat leur avait octroyées en 1996-1997. Le secrétaire d'Etat, élu du département très textile des Vosges, n'a eu de cesse qu'il ne se débarrassât de cette épine léguée par son prédécesseur, Franck Borotra. Sous le précédent gouvernement, en échange d'une manne d'environ 2,1 milliards de francs, 13 000 entreprises s'étaient engagées à sauver 35 000 emplois et à embaucher 7 000 jeunes. Le problème est que le gouvernement Juppé avait fait fi de la réglementation européenne. 

Cette aide au textile avait en effet tout d'une aide «sectorielle» totalement interdite par le traité de Rome. Pire encore, Karel Van Miert, commissaire européen à la Concurrence, avait averti Paris avant même le versement des aides. Le 5 mars 1996, le commissaire avait écrit à la représentation française à Bruxelles : «Toute aide octroyée illégalement est susceptible de faire l'objet d'une demande de remboursement.» Trois mois plus tard, alors que la Commission avait déclenché une procédure d'enquête sur le plan Borotra, Karel Van Miert devait à nouveau rappeler à la France «l'effet suspensif de l'article 93 du traité»

La France n'a pas tenu compte de ces avertissements, prétextant que la Commission ne pouvait lui interdire de faire face aux «dévaluations compétitives» de la lire italienne et de la livre britannique. Le gouvernement Juppé avait essayé de régulariser la situation en étendant la mesure à quatre autres branches employant de la main-d'œuvre à bas salaire. Peine perdue. 

Le gouvernement Jospin se retrouve donc à devoir gérer l'héritage. Il a commencé par prendre une mesure dilatoire en portant le différend devant la Cour de justice à Luxembourg. Sans illusion sur l'issue, il a bien fallu négocier la sortie. Bruxelles exigeait au départ 800 millions de francs de remboursement, assortis d'un taux d'intérêt (pour la période courant à partir de 1997) de 8 %. 

Au final, Pierret s'en tire plutôt bien. Le taux d'intérêt a baissé, la somme aussi. Seules sont concernées un petit millier d'entreprises qui devront commencer à payer dès le 1er avril 2000, pendant trois ans. La dette peut néanmoins représenter 15 à 20 % de la marge brute de l'entreprise concernée. L'affaire n'étant pas encore jugée, les entreprises n'ont pas pu faire de provisions fiscales pour faire face à un rappel que tout le monde savait inéluctable. D'après nos informations, l'une des plus importantes sociétés du textile français, qui réalise 2 milliards de chiffre d'affaires par an, devrait rembourser 8 à 10 millions de francs, pour un résultat net de 20 millions. 

Le gouvernement n'est pas pour autant complètement sorti d'affaire. Hier, Georges Jollès, président de l'Union de l'industrie textile, saluait la ténacité du ministre mais prévenait : «Les entreprises ont passé des conventions avec l'Etat. Elles ont respecté leur partie du contrat en embauchant ou en ne licenciant pas. Nous nous réservons la possibilité de nous retourner contre l'Etat.» Et surtout, il faudra adresser des injonctions de payer alors que le secteur du textile-cuir-habillement va plus mal que jamais. Christian Larose, de la fédération THC CGT, estime que la branche «perd 3 000 emplois par mois». La fédération a recensé 24 établissements supprimant des emplois ou en voie de fermeture pure et simple, souvent en délocalisant. Parmi eux : Levi's, Kindy, Albert, Delsey, Nina Ricci....


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