ACTUALITÉ
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Quelques commentaires, sérieux ou frivoles,
sur l'actualité européenne


Le sacrifice de Pierre Joxe (août 99)
Le constat est désespérant: la France- est- le-mauvais-élève-de-la-  classe-européenne, susurrent avec raison les journalistes en toutes circonstances: en matière de respect de l'environnement la France est la dernière, en matière d'accidents de la route la France est la dernière, la France est l'avant-dernière à avoir ratifié le traité d'Amsterdam. La cause est entendue: la France est la dernière en tout. Il semble pourtant, qu'épisodiquement, la mauvaise élève tente de se racheter: on apprend que la Cour des comptes a "pour la première fois, communiqué à son homologue européenne, à Luxembourg, un rapport concernant une fraude relative au stockage de céréales"  (Le Monde 18/8/99). Il s'agit, ni plus ni moins, "d'une petite révolution", commente l'estimable quotidien, car jusqu'à présent les quinze cours des comptes nationales des membres de l'Union européenne  "se gardent bien de communiquer quoi que ce soit".
Il y avait péril en la demeure car la bête immonde s'est insinuée à la Cour des comptes: certains de ses magistrats sournois, que le Monde qualifie, horresco referens, d'eurosceptiques, estimaient ne pas devoir transmettre à la cour des comptes de Luxembourg les irrégularités constatées tant que les autres pays européens n'en feraient pas autant. Cette attitude inadmissible était si répandue que la considération dont jouit l'institution s'en trouvait gravement atteinte et faisait peser sur elle le soupçon le plus odieux: la Cour des comptes était "suspecte de sacrifier son devoir de contrôle aux intérêts de son pays". On mesure l'ampleur du scandale.
Heureusement, certains magistrats exemplaires se sont levés pour mettre un terme à cette anomalie honteuse qui perdure depuis 1975. Il n'était que temps et il en allait de "l'honneur de [leur] corps", selon les mots de l'un d'entre eux: my country, right or wrong, ne peut constituer la devise des magistrats si distingués de la Cour des comptes. Aujourd'hui, l'honneur de la haute fonction publique n'est plus de servir son pays, comme cela a pu l'être en des temps réculés, mais au contraire de le desservir au nom de l'Europe. Outre l'honneur, il en allait également de leur dignité: était-il acceptable de laisser aux seuls diplomates du Quai d'Orsay l'honneur de trahir son pays, alors que ceux-ci sont sortis moins bien classés de l'ÉNA que les membres de la Cour des comptes? À l'évidence non!
Qui est a été à l'initiative de cette heureuse initiative qui est révélée au creux de l'été? Pierre Joxe et c'est pour nous l'occasion de nous féliciter que François Mitterrand ait eu le temps de nommer ses fidèles aux fonctions importantes, avant de quitter l'Élysée, Roland Dumas au Conseil constitutionnel et Pierre Joxe à la présidence de la Cour des comptes. La nomination de proches de l'ancien président n'est-elle pas la garantie que la rectitude morale qui a caractérisé le second septennat de Mitterrand va se perpétuer? Pierre Joxe n'a pas trahi sa réputation de mitterrandiste et les circonstances de sa décison honorent la mémoire de grand Européen de son défunt mentor.
Conscient qu'un débat public serait pour les eurosceptiques l'occasion de faire assaut de démagogie, il a choisi la voie appropriée pour annoncer "sa petite révolution": lors d'une audition par une commission sénatoriale, que rapportera plus tard une revue confidentielle. Sa sagesse a épargné un débat inutile où les eurosceptiques auraient sorti leurs éternels arguments éculés: pourquoi être les premiers et probablement les seuls à nous sacrifier? L'Allemagne a-t-elle jamais envisagé de modidier ses procédures de contrôle, quand les nombreuses fraudes et irrégularités ont été découvertes (raffinerie de Leuna, chantiers navals de Brême...)? Après le scandale de la commission et le refus des «parlementaires» européens de voir contrôler leurs indemnités, les institutions européennes sont-elles fondées à exiger des autres de la vertu? On connaît par coeur leurs récriminations aigries et leur esprit étroit.
Hélas, le Président Joxe a cru devoir tempérer notre satisfaction de voir l'Europe avancer en minorant la portée de sa décision et en la justifiant. C'est, déclara-t-il au Monde, "un non-événement". Comme si un pas de plus vers la fédéralisation de l'Europe pouvait être négligeable, comme si la construction européenne devait être justifiée! Il s'est même égaré à affirmer que, sans sa décision, le contrôle direct de la cour européenne deviendrait inéluctable, donnant l'impression qu'il craignait une telle perspective et qu'il avait agi pour l'épargner à la France.
Ne lui tenons pas trop rigueur: il n'en pense pas un mot. Comme tout être sensé, il sait que la fédéralisation de l'Europe est une formidable chance pour notre pays et que l'intérêt de la France consiste à disparaître dans l'ensemble européen, mais en habile stratège, il sait que la déplorable pression eurosceptique l'oblige à feindre de se soucier de l'intérêt apparent de la France comme pays souverain.
Il adopte, en quelque sorte, la stratégie de Jospin et de Sarkozy: le projet européen de ceux-ci est exactement le même que celui de Cohn-Bendit et Bayrou, mais ils jugent préférable d'apparaître moins européens et attachés à la nation.
Non pas par opportunisme, bien entendu, a-t-on jamais songé à traiter Jospin ou Sarkozy d'opportunistes? Non bien sûr! En affectant de ne pas souhaiter la disparition immédiate de la France, Joxe, Jospin et Sarkozy acceptent stoïquement de paraître ringards et se privent de la sympathie de la presse parisienne. On ne souligne pas assez cette forme d'héroïsme.




 
AVANT
APRÈS
Séance à la Cour des comptes
Jan Karlsson, président de la Cour européenne des comptes
La cour des comptes, rue Cambon
La cour européenne des comptes à Luxembourg

Un immeuble sale et vieillot, renfermant des magistrats bornés et eurosceptiques. Tout dans cette France moisie, transpire l'arbitraire, le passé et l'ennui.

Dans cet immeuble, à l'élégance discrète qui ne déparerait pas à Cergy-Pontoise, la cour européenne des comptes rendra une justice moderne, impartiale et transparente.



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