ACTUALITÉ
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Quelques commentaires, sérieux ou frivoles,
sur l'actualité européenne


Le sommet de Cologne est un plein succès (juin 99)
Il serait trop facile d'ironiser bêtement sur cette photo montrant les préparatifs du sommet de l'Union européenne qui s'est tenu à Cologne les 4 et 5 juin. Non, ce sommet n'a pas été un échaffaudage branlant dont on a masqué le vide par un joli drapeau coloré. Ce sommet a été un franc succès. Les quinze y ont ouvert de nouveaux chantiers prometteurs. Qu'on en juge: l'Europe de la défense, la réforme des institutions, l'Europe de l'emploi ont été abordées et les résultats sont fulgurants:
Europe de la défense
L'Union européenne a décidé de créer une ébauche de défense européenne en transformant l'Eurocorps auquel ne participent que 5 pays, en armée européenne d'intervention. Cette "armée européenne" comptera 15.000 hommes. Quinze mille hommes? Le Pentagone va être jaloux! Les G.I. et les marines n'ont qu'à bien se tenir car cette titanesque armée européenne pourrait un jour concurrencer l'US Army qui ne peut aligner que 1,5 million de soldats.
Autre nouvelle, celui qui incarnera la politique de défense et la diplomatie commune sera Javier Solana. Apparemment cela n'étonne personne que celui qui était jusque alors le secrétaire général de l'OTAN, c'est à dire l'homme des Américains, puisse devenir  M.PESC. Cela n'étonnera que les gogos qui croient que la construction européenne est destiné à se protéger des États-Unis et à se passer d'eux et de l'OTAN à l'avenir.
Réforme des institutions
Les européistes unanimes avaient considéré que le sommet d'Amsterdam en juin 1997 avait été un échec. Persuadés qu'on ne peut plus fonctionner avec des institutions datant de l'époque où l'UE ne comptait que 6 membres, dans une Europe qui en comptera une vingtaine sous peu, ils avaient amèrement regretté l'échec de la réforme des institutions à  Amsterdam (Jack Lang avait en août 97 publié une tribune libre expliquant pourquoi ses convictions européistes lui interdisaient de voter oui au traité d'Amsterdam. En fait l'homme de constance et de convictions le vota quand même...) Cette délicate question a-t-elle avancé à Cologne? Non, il n'en a pas été question. Il a été décidé d'en reparler en l'an 2000. Il est vrai qu'il est dangereux de parler des sujets qui fâchent en période électorale et puis on s'est déjà suffisament étripé au sommet de Berlin (mars 99).
En bref, il n'est presque rien sorti de ce sommet, mais le journal de référence a bien raison d'écrire que "c'est une Europe largement nouvelle, créative, plutôt mobile (sic) qui a surgi lors du conseil de Cologne." (Le Monde 6-7/6/99)


Ces vérités dérangeantes qui finissent par éclore (juin 99)
Certaines vérités sont bonnes à dire et à entendre même si elles apparaissent tardives.
Une querelle vient d'éclater entre le ministre français de l'agriculture, Jean Glavany, et le commissaire européen chargé de l'agriculture Franz Fischler. Celui-ci a accusé les autorités françaises d'avoir réagi tardivement à l'alerte de la commission informant de la présence de toxine dans des poulets belges. Le fond de l'affaire est discutable et n'est pas notre propos.
Franz Fischler, commissaire européenAu plus fort de la polémique, M. Glavany déclara "Je voudrais le dire franchement: je n'ai rien contre ce commissaire européen, mais je trouve détestable sa manière d'accuser certains pays comme ça, publiquement et sans preuve".(AFP 5/6/99 18h40) Il laissa entendre que la virulence des attaques de M. Fischler était dictée par ses sentiments «anti-français» et son «tempérament anti-démocratique».(Le Monde 6-7/6/99).
Comment? Il y aurait à Bruxelles des commissaires «anti-français» aux pratiques «anti- démocratiques». Et on nous l'avait caché! C'est impossible, Glavany déraisonne, pareilles choses ne peuvent exister. À huit jours des élections Glavany aura voulu "se payer" la commission de Bruxelles. Mais cette attitude est indigne d'un homme d'État dont l'européisme impeccable faisait jusque alors l'admiration de tous: dénoncer le manque de démocratie de Bruxelles insulte à la mémoire de Jean Monnet, insinuer que l'Union européenne ne défend pas les intérêts de la France est un péché contre l'Europe! La campagne en cours ne justifie pas ces propos quasi-eurosceptiques d'estrade. Car enfin, ces histoires d'absence de démocratie et de volaille douteuse sont sordides, n'intéressent personne et surtout sont autant de non-événements dans la formidable aventure humaine qu'est l'intégration européenne.
Quand bien même les accusations contre le commissaire Fischler de Glavany seraient justifiées, il est évident qu'il ne s'agirait là que d'un cas isolé. Tous les autres commissaires sont de parfaits démocrates qui veillent à ne léser aucun pays ni à privilégier aucun autre, et surtout pas le plus puissant...
Trêve de plaisanterie, si ce bon M.Glavany vient de découvrir qu'il y a pas mal de monde anti-français à Bruxelles et que l'Union européenne n'est pas démocratique, bienvenue au club! S'il s'intéressait à la construction européenne sous tous ses aspects, et pas seulement pour les quotas laitiers, le prix des carottes et autres sujets d'importance, il y a longtemps qu'il se serait rendu compte de ces évidences. Car le cas de ce Fischler n'est pas l'exception anti-française mais plutôt la règle à Bruxelles. Dans une tribune libre publiée par Libération (7/7/98)  le commissaire européen à l'environnement Ritt Bierregaard n'avait pas caché l'exaspération que lui inspirait la France en matière d'environnement: martial, il écrit: "la commission a jusque ici fait preuve de beaucoup de mansuétude à l'égard de la France".
Trouve-t-on des commissaires aussi abrupts envers l'Allemagne? Karel van Miert s'est certes égaré à dire dans Focus (17/5 cité par le FT du lendemain) qu'il avait abordé son mandat dans la certitude que les informations allemandes sur le respect de la concurrence étaient fiables mais que depuis, "on nous a trompés systématiquement. Cela fait longtemps que l'Allemagne ne peut plus servir de modèle en matière de concurrence." Bravo, Karel! Enfin de la lucidité à Bruxelles! Mais si van Miert en est convaincu depuis longtemps, pourquoi ne pas en avoir fait état plus tôt, pourquoi avoir attendu d'être en sursis depuis la démission de la commission?
Pourquoi? Seuls des naïfs comme Glavany s'en étonneront: si un commissaire peut critiquer ouvertement la France, il doit garder pour lui ses réserves sur l'Allemagne.

La poubelle de l'histoire pour les contempteurs de l'euro? (juin 99)
Il s'est tenu le 26 mai 1999 à l'Université de Dauphine une conférence d'économistes libéraux sur le thème: la France devrait-elle sortir de l'euro? Vous ne le saviez-pas? Nous non plus! Alors que le moindre colloque sur les bienfaits de l'UE fait l'objet d'un quart de page de pub dans le Monde (il est vrai qu'il suffit d'inviter Colombani ou un autre rédacteur à venir pérorer pour qu'un modeste colloque se transforme en rencontre au sommet...), pas un journal, pas une radio n'a signalé cette réunion ni rendu compte de ses travaux. Nous avons appris l'existence de ce colloque qui se tenait en France sur un site anglais... (CIB voir liens). Le site de Dauphine n'en dit pas un mot.
Quelles sont les conclusions du colloque? Nous n'en savons que ce que le site veut bien dire: l'ancien premier ministre tchèque Vaclav Klaus est venu rappeler les vices de forme évidents,  pour un libéral, de l'euro: l'Union européenne n'est pas ce que les économistes appellent la "zone monétaire optimale". Il y a certes convergence en Europe sur les critères macroéconomiques (inflation basse, décicits budgétaires comparables...) mais des divergences criantes sur d'autres critères (niveau des salaires, flexibilité du marché du travail...) font que, et c'est la bonne nouvelle, la zone monétaire n'est pas viable.
La zone euro pas viable? L'«Euroland» en danger? On comprend pourquoi personne n'a rendu compte de ce colloque. En France, la ligne du parti européiste veut que la naissance de l'euro le 1er janvier a rendu ces débats dépassés, que ceux qui persistent à vouloir contester l'Union économique vont sortir "de l'histoire", selon les mots de DSK, que irréversibilité de l'euro est une parole d'évangile.
Dépassés les débats sur l'euro? Décalés les eurosceptiques? Irréversible l'euro? Ce n'est là que le point de vue tendancieux des européistes. "L'euro est derrière nous, n'en parlons plus, et continuons la construction européenne!"  disent les européistes. Pour nous au contraire, la désintégration de l'euro est devant nous, parlons en, et arrêtons la construction européenne.
On verra bien qui sortira de l'histoire le premier...

D'inattendus défenseurs de la liberté et de l'égalité (juin 99)
Faut-il abolir l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977 qui interdit la publication des sondages la semaine précédant le scrutin?
Interrogés par l'AFP (4/6/99 13h15), la plupart des responsables des instituts y sont favorables. Pour faire tourner leur boutique à plein régime, comme le penseront les éternels aigris?
Pas du tout! C'est au nom de la liberté et de l'égalité que ces citoyens exemplaires se battent. Le directeur des études politiques de Louis Harris, Romain Pache estime que, grâce à internet, certains peuvent se procurer les sondages sur les sites étrangers, d'autres ne le peuvent pas. Il y a donc une discrimination entre les citoyens. L'interdiction de publication serait donc attentatoire au principe républicain d'égalité.
Pierre Giacometti, directeur général d'IPSOS, estime pour sa part que l'article 11 est révélateur de la "conception française de l'État, qui est là pour décider ce dont le citoyen peut disposer comme informations". Cet article désuet est donc une atteinte à la liberté d'expression et d'information.
Ces professions de foi «citoyennes» nous ont transportés d'émotion et nous ont contraints à de sérieuses révisions: nous qui ne voyions dans ces instituts qu'au mieux des marchands de soupe, au pire des Madame Irma qui auraient troqué leur boule de cristal pour un ordinateur et leur accoutrement de pythie inquiétante pour le costume trois pièces. Nous voilà bien obligés d'admettre que Jaffré, Giacometti, Cayrol et les autres sont bien les derniers remparts de la liberté et de l'égalité, ce que notre rationalisme desséchant nous empêchait de voir...
Plus sérieusement, nous nous réjouissons de la perspective d'avoir des sondages jusque au jour du scrutin. Cela aidera à en montrer un peu plus l'imposture. À chaque soir de scrutin, la bande à Jaffré, la mine un peu dépitée, nous explique sans rire que, si le résultat des urnes ne ressemble pas aux derniers sondages publiés, le crédit que l'on porte à ces instituts ne saurait être entamé. Car, affirment les sondeurs la main sur le coeur, les sondages effectués la dernière semaine mais non diffusés en raison de la loi, enregistrent les derniers mouvements de l'opinion, mais les instituts ne peuvent hélas en rendre compte.
Si la loi de 77 est abrogée, on pourra enfin constater que ces affirmations sont fausses: il suffit de se souvenir de leur mine défaite quand un scrutin a réservé des surprises (Jospin en tête du 1er tour en 95, succès de Tapie et Villiers en 94...). Peut-être enfin les Français, la presse et les «élites» se rendront compte de ce que valent les sondages, ceux qui les font et ceux qui y croient. Mais c'est sans doute trop optimiste: la bêtise humaine ne donne-t-elle pas, disait Renan, une idée de l'infini.

Désinformation, mode d'emploi (mai 99)
L'organisation d'une fête de la bière en Afghanistan susciterait sûrement moins de glapissements et d'interdits théologiques que la publication d'une étude neutre sur l'Union européenne dans la presse écrite. La léthargie de la campagne européenne et la perspective d'une abstention massive inquiètent les Talibans de l'européisme (Le Monde 28/5/99).  Ils ont mobilisé le ban et l'arrière ban de la politologie, cette incontestable science, si injustement décriée. À côté des increvables Jérôme Jaffré et Pierre Giacometti (Cayrol était en vacances?) vient s'ajouter une fine équipe dont notre distraction coupable n'avait pas jusque alors discerné le talent.
L'objectif de cette opération? Nier les évidences, relativiser les aspects gênants, la routine quoi...
L'opinion publique
On nous l'a assez seriné: les Européens constituent une "nation en devenir", et on assiste à la naissance, certes difficile, d'une opinion publique européenne. Comment se manifeste cette communauté d'opinion? L'appréciation et les comportements des Européens deviennent "plus homogènes, plus interdépendants" (Pierre Giacometti). Quel exemple notre expert va-t-il avancer? Les seuls vrais signes visibles d'harmonisation des comportements en Europe: tous les Européens ont vu Titanic, s'habillent de Nike et de GAP et raffolent du McDo? Non, bien sûr, cela renforcerait les eurosceptiques dans leur conviction que "États-Unis d'Europe=États-Unis en Europe". Non, l'harmonisation des opinions publiques se manifeste par "une adhésion partout majoritaire (y compris Outre-Manche!) à l'euro." Il fallait oser! Les magasins enregistrent en France environ 0,1% des paiements en euro (le Monde 10/3/99), mais il est interdit d'en douter: l'euromania fait rage en France!
Autre signe que l'homme de sciences met en avant: partout en Europe se propagent "l'inquiétude pour l'insécurité urbaine, le souci croissant pour la préservation de l'environnement, une sensibilité unanime au thème de la sécurité sanitaire, une angoisse face aux périls sociaux...". Plus un seul doute, l'homo europeus existe et Pierre Giacometti l'a rencontré... Ce specimen étrange a un comportement surprenant: il ne veut pas être agressé, ni être pollué, ni être empoisonné, ni être pauvre. Tant de caractéristiques spécifiques à l'Europe, qui provoquent étonnement et incompréhension ailleurs dans le monde, font indubitablement de l'homo europeus un individu très différent des autres humains...
L'abstention massive
En fait il existe bien un point commun à tous les Européens: tous se foutent des élections européennes. Le tableau suivant montre l'ampleur de l'abstention en Europe aux européennes. Cette abstention est entre 20 et 41% supérieure à l'abstention observée lors des autres élections, sauf dans les pays où le vote est obligatoire (Grèce, Belgique, Luxembourg), en Espagne et en Irlande, deux pays où on ne peut pas faire un kilomètre sans qu'un panneau de propagande de l'UE rappelle que la route qu'on emprunte a été construite sur fonds européens.

PAYS Abstention moyenne (79-94) aux élections européennes Écart avec les autres élections
Royaume-Uni 65,6 41,2
Pays-Bas 52,2 35,2
Danemark 50,2 35,5
Portugal 46,9 24,9
France 45,3 30,3
Irlande 44,1 16,3
Espagne 39,1 12,8
Allemagne 38,8 23,6
Grèce 23,1 5,3
Italie 19,0 7,0
Luxembourg 11,6 0,0
Belgique 8,7 2,3
Source : People in Parliament in the EU (Le Monde 28/5/99)

Est-ce à dire que les Européens se foutent de l'Union européenne? Grand Dieu non! Jérôme Jaffré racle ses fonds de tiroir et y trouve des sondages qui "prouvent" l'attachement des Européens à l'UE. Mais, comme dit le poète, il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour, alors explique-nous Jérôme, pourquoi les Européens boudent les urnes lors de l'unique élection où ils pourraient manifester leur amour de l'UE? La réponse du savant est magistrale, et on est honteux de n'y avoir point pensé: "Dans leur majorité, les opinions publiques demandent une construction européenne plus rapide, en ignorant les institutions actuelles".
Conclusion: vous vous passionnez pour la construction européenne? Montrez-le en restant chez vous le 13 juin! Vous vous en foutez? Faites pareil! Dans la masse des abstentionnistes, le demi-dieu Jérôme Jaffré reconnaîtra bien les siens.
L'Europe et la nation
L'article d'une certaine Mme Duchesne mérite lui aussi le détour. Son article est, comme celui de ses deux prestigieux collègues, un petit bijou.
Le titre est audacieux:"l'attachement à la nation ouvre la voie à l'identité européenne."  De sa belle prose, il ressort essentiellement que, quand on est fier d'être européen, on est fier d'être français. La réciproque, nous dit-on, est presque tout le temps vraie (certaines personnes fières d'être françaises, les partisans du FN, refusent d'être fières d'être européennes). Rien ne serait choquant dans ce pensum si, comme partout dans ce genre de littérature, les mots «européen» et  «européiste» n'étaient pas confondus à dessein, et si surtout le fondement scientifique de ces affirmations n'était pas totalement vide: la Jaffré en jupons reconnaît elle-même ses sources: il s'agit de l'enquête de l'OIP (Observatoire interrégional du politique). De cette enquête, elle retient un chiffre: "85% des Français qui se disent très fiers d'être européens, se disent aussi très fiers d'être français." De ce chiffre, elle tire l'essentiel de ses conclusions. L'honnêteté intellectuelle la plus élémentaire aurait consisté à préciser combien de Français se disent très fiers d'être européens. Les internautes fidèles de ce site le connaissent (voir l'avant dernière rubrique de cette page). D'après cette enquête de l'OIP, il y a seulement 11% de Français à se déclarer très fiers d'être européens... C'est donc sur les 85% de 11% de la population, c'est-à-dire 9% des Français que Dame Duchesne construit ses extrapolations péremptoires.
Le bas-bleu en question est chargé de recherches au CNRS. Elle devrait également donner des cours de journalisme.



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