Construire
l'Europe, ce n'est pas abandonner sa souveraineté, jurent les européistes
la main sur le coeur. Bien au contraire! Il s'agit de la renforcer, en
la partageant. Car à l'heure d'internet, de la mondialisation etc,
un pays européen seul n'a pas la taille critique pour exercer pleinement
sa souveraineté, est il assuré. Il doit impérativement
s'associer aux autres au sein d'un ensemble plus vaste où la souveraineté
est exercée de manière collective, nous assurent-ils.
La querelle autour du poste
de directeur du Fonds Monétaire International (FMI), laissé
vacant par la démission du «Français» Michel
Camdessus, vient apporter une bien jolie illustration de la réalité
de la souveraineté partagée.
Par tradition, la direction
du FMI échoit à un Européen, celle de la Banque Mondiale
revenant à un Américain. Les naïfs pensent probablement
que les Européens se sont donc réunis pour examiner une liste
de candidats européens potentiels et décider de soutenir
en commun celui qui est jugé le plus apte. C'est ce qui ce serait
passé si la «souveraineté partagée» était
autre chose qu'un bobard européiste auquel la désignation
du candidat européen apporte un démenti.
À l'heure de l'Europe,
la nationalité du candidat compte-t-elle?
À l'heure de l'Europe
bientôt fédérale, peu importe la nationalité
du candidat, nous jure-t-on: il n'y a plus ni Français, ni Anglais,
ni Allemands... Il n'y a plus que des citoyens européens. "Pour
le ministre de l'économie, Werner Müller, la question de savoir
si le poste doit être pourvu par un Allemand ou un Français
«devrait être secondaire dans une Europe en cours d'intégration».
M.Müller est un proche du chancelier Schröder, qui a fait du
succès de la candidature de M. Koch-Weser [le premier candidat
allemand] une affaire personnelle." écrit Le Monde
(29/1/2000). Pourtant le Financial
Times (1/3/00) écrit
que "le gouvernement allemand était frustré que le poste
au FMI ait longtemps été occupé par un Français".
Si l'on comprend bien, quand un Français exerce une fonction
internationale, ce plouc, cet untermensch, reste bêtement
français, il n'est que le représentant d'un tout petit pays
arrogant. En revanche, quand un Allemand occupe la même place, c'est
l'Europe tout entière qui doit se sentir honorée et le soutenir.
Car l'Allemagne seule sait sublimer ses intérêts et incarner
l'essence même de l'Europe. Ne l'a-t-elle pas toujours démontré?
Un Allemand sinon rien
Il était donc essentiel
que la direction du FMI soit occupée par un Allemand et par personne
d'autre qu'un Allemand. "Dès l'annonce de la démission
de Michel Camdessus, début novembre 1999, l'Allemagne a revendiqué
le droit à ce poste prestigieux, faisant du succès de M.Caio
Koch Weser une question d'honneur national. Elle a empêché
d'autres candidatures européennes de se manifester et est restée
sourde aux mises en garde lancées par ses partenaires." (édito
du Monde 1/03/00) La détermination
allemande à obtenir ce poste a été si brutale, si
maladroite, et si entêtée -en un mot, si allemande- que même
la presse pro-allemande en a été choquée: Le Point
(3/3/2000) parle d'une "singulière
brutalité", le Financial Times (1/2/00)
dénonce "la diplomatie du porte-voix", Le Monde parle
de "mois d'aveuglement allemand" (14/3/00). |
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Caio Koch Weser
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Horst Köhler
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Les deux «Européens»
candidats successifs au FMI. Dignes de diriger le FMI? Peu importe! ils
sont allemands... |
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La compétence
de l'intéressée était une question tout à fait
secondaire. Seule sa nationalité allemande importe. Obscur vice-ministre
des finances, Caio Koch Weser était de l'avis général
trop terne, manquant d'envergure, mais personne n'a osé contester
le choix de Schröder, au nom d'un prétendu "devoir de solidarité
envers le chancelier" (Le Point 3/3/00):
au sommet d'Helsinki en décembre 99, "personne n'ose dire non,
de peur d'humilier les Allemands. Les Anglais ne se manifestent pas, les
Italiens font semblant de soutenir le candidat allemand. Chacun compte
sur les Français (...) pour envoyer des signaux aux Allemands."
(Le Monde 14/3/00). |
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Ne pas
humilier l'Allemagne, c'est la suivre jusque dans ses erreurs et ses entêtements,
semble-t-il. Et ce "devoir de solidarité" s'applique envers l'Allemagne
et uniquement envers l'Allemagne. (on rappellera qu'à l'automne
95, seule la Grande-Bretagne avait voté contre la résolution
des Nations Unies condamnant la France pour ses essais nucléaires.
L'Espagne et l'Allemagne s'étaient abstenues, les autres membres
de l'Union européenne l'avaient votée. Envers la France,
le "devoir de solidarité" n'existe pas).
À ce jour le feuilleton
du FMI n'est pas terminé: Caio Koch Weser a retiré sa candidature
qui n'a enthousiasmé ni les Américains ni le reste du monde
et, après à peine plus de consultations que pour Koch
Weser, Schröder a avancé le nom d'un autre de ses compatriotes,
Horst Köhler, ancien vice- ministre des finances d'Helmut Kohl et
actuel président de la Banque européenne pour la reconstruction
et le développement. Malgré des réticences en Italie,
les Quinze ont ratifié ce choix.
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L'Allemagne
impose; les quatorze s'inclinent, mais n'en pensent pas moins. L'anschluss
de l'Allemagne sur le FMI n'est pas, contrairement à ce qu'écrit
la presse européiste, une maladresse supplémentaire de Schröder;
c'est le fonctionnement ordinaire de l'Union européenne, quand l'Allemagne
estime l'enjeu important. On rappellera entre autre la reconnaissance de
l'indépendance de la Croatie imposée à l'UE en 1991,
le rappel en 1996 des 15 ambassadeurs de l'UE en Iran quand un tribunal
allemand décréta qu'un attentat terroriste à Berlin
avait été fomenté «au plus haut sommet de l'État
iranien»...
Cette affaire rappelle pour
ceux qui en doutaient encore que la «souveraineté partagée»
tellement vantée par les européistes est une imposture et
qu'il convient de parler de souveraineté abandonnée à
l'Allemagne. |