ACTUALITÉ
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Quelques commentaires, sérieux ou frivoles,
sur l'actualité européenne


 

Le psychodrame Haider (février 2000) 
L'arrivée au gouvernement autrichien des amis de Jörg Haider, présenté comme un populiste d'extrême droite, a permis à l'Europe de s'offrir un de ces psychodrames grandiloquents qu'elle affectionne tant. L'Europe ne marche pas, l'euro est un fiasco, tous les Européens se foutent de l'Europe, mais l'Union européenne est une grande fille vertueuse, intransigeante avec ses valeurs. 
Cette comédie a été très révélatrice sur la construction européenne: abjecte dans ses ambitions, et grotesque dans la manière de les réaliser.

 
Satan s'est insinué au paradis

Tiens la nation compte encore? La grande affaire autrichienne qui a mobilisé tout ce que le milieu politique et médiatique compte de consciences morales exigeantes est-elle si importante? L'extrême droite entre au gouvernement d'un État de l'UE. Et alors? On croyait que l'État-nation, cette vieille chose surannée, était amené à disparaître, que les nations devaient céder la place à l'Europe fédérale pour les grandes tâches et aux régions pour les plus petites. Dès lors, pourquoi s'indigner que le FPÖ ait des ministres dans le gouvernement d'une nation, cette vieillerie dont les jours sont comptés, et ne pas s'indigner de la présence du FPÖ dans les institutions qui compteront dans l'Europe fédérale fraîche et joyeuse de demain, c'est-à-dire la région et le «parlement» européen? Car le FPÖ dirige une province autrichienne, la Carinthie, depuis mars 99 et a cinq «députés» au «parlement» européen. 
Puisqu'on assure que les nations sont des vieilles dames qui n'en ont plus longtemps, ne peut-on pas leur passer quelques excentricités, même indignes? On n'ignore pas que les pétitionnaires, les cinéastes engagés, les associations de «combat citoyen» ont une réserve d'indignation sans limite, mais ne serait-il pas plus opportun d'aller défiler avec les pancartes "¡no pasarán!" devant l'assemblée régionale de Carinthie et devant le «parlement» européen? À moins de considérer que le contrôle d'une région autrichienne n'a qu'un intérêt local et la composition du «parlement» européen aucun intérêt du tout et que le seul vrai cadre légitime d'exercice de la politique est celui de la nation? C'est un peu l'avis des eurosceptiques, mais il est curieux que le petit monde européiste agisse comme s'il partageait cet avis.


Un châtiment à la mesure du crime commis

Cette fois c'est décidé, l'Europe ne sera plus un ventre mou! L'homme de la rue n'y a peut-être pas été sensible mais l'Europe vient de vivre un moment historique. Pour la première fois de sa brève existence, l'Union européenne a décidé d'être ferme et, par sa réaction rapide à l'arrivée au pouvoir du parti de Haider, elle a adressé un signal fort au monde. "L'Europe vient de donner une leçon au monde" a assuré António Guterres, premier ministre portugais qui exerce la présidence tournante de l'UE (IHT 2/2/00).  Scandalisés par l'Autriche, les quatorze autres membres conjurés ont pris à son encontre des résolutions d'une fermeté qui les étonne eux mêmes. L'Autriche sera privée de contacts bilatéraux, ses ressortissants ne pourront prétendre à des fonctions communautaires, les ambassadeurs autrichiens ne seront "reçus qu'à un niveau technique". Désormais, si d'aventure un officiel autrichien s'avisait à venir en France, le Viennois serait privé de l'agrément du château de Bity et de valse avec Bernadette Chirac. Cette dernière n'accorde son bras qu'aux gens bien. Plus retentissant encore: "En Belgique, le ministre de la défense André Flahaut a annoncé qu'il annulait la commande de six ambulances blindées autrichiennes d'un montant d'un million de dollars. Certaines écoles ont annulé des classes de ski dans les stations autrichiennes et les autorités de Liège ont refusé d'emprunter un tableau de Gauguin à un musée autrichien." (Tom Buerkle IHT 5/2/00). Mais ce n'est pas tout. Martine Aubry a pris une résolution qui sera plus humiliante encore pour la fierté nationale autrichienne et les amenera à réfléchir: "sur France Info, Martine Aubry a expliqué qu'elle «ne saluerait pas» la semaine prochaine à Lisbonne son homologue autrichienne Elisabeth Sickl. (libération 5/2). Tous ces châtiments cruels ne sont-ils pas disproportionnés par rapport au crime que l'Autriche a commis? Ces Européens incorruptibles n'ont-ils pas de coeur? Heureusement si: les sanctions ne sont que diplomatiques et, à ce jour, aucune sanction n'est prévue contre les sportifs autrichiens qui pourront toujours disputer des compétitions à l'étranger, et la participation de l'Autriche à l'Euro 2000 ne semble pas compromise. 
On le voit l'heure est grave. Et les Européens, unanimes, auront été d'une fermeté à laquelle ils nous avait guère habitués. (Il convient de noter que la décision d'isoler l'Autriche a été prise par les 14 chefs d'État ou de gouvernement; la commission européenne, en revanche, est restée en retrait et n'a pas participé à la curée contre l'Autriche. Elle s'est abritée derrière son rôle de «gardienne des traités» pour justifier sa très grande réserve. Il est vrai que si l'on commence à organiser la chasse aux factions qui respectent les apparences de la démocratie, mais sont mus en réalité par des instincts antidémocratiques on pourrait commencer par du plus gros gibier que le FPÖ, la comm' de Bruxelles par exemple....)

Le crime des Autrichiens De quoi sont donc responsables ces malheureux Autrichiens, pour qu'on leur impose pareille pénitence? Les Autrichiens n'ont pas l'air d'en être pleinement conscients, mais ce qu'ils ont fait est misérable: de Vienne est venue "la transgression d'un tabou- celui de la présence dans un gouvernement de membres d'un parti ne défendant pas les valeurs de l'Union européenne" (Le Monde 2/2/00) C'est bien de cela qu'il s'agit. Un crime contre l'Europe. Les valeurs européennes ont été bafouées. Mais l'Autriche n'a violé aucune directive européenne, aucun traité qu'elle avait prélablement signé! Certes, mais la défense est bien pauvre. Car on n'entre pas dans l'Union europénne comme dans une simple copropriété, avec pour seule obligation le respect du règlement. Être en Europe, c'est bien plus que cela: l'Europe, c'est un ambitieux projet; l'Europe, c'est une philosophie; l'Europe , c'est une civilisation; ou pour être plus concret encore: l'Europe, c'est un devenir ensemble; l'Europe c'est penser un futur en partage. (Pour d'autres élégantes formules, on se reportera au site du Monde, de Libération, ou de Jacques Chirac qui a été magistral dans sa prosopopée des valeurs européennes bafouées.) 
Quiconque, par ses choix irresponsables, s'écarte de cette ambition pour le genre humain sans précédent, ne peut pas s'étonner de se voir mis au ban de l'Europe.



Voilà, en exagérant à peine, comment la brave presse européiste aura relaté l'affaire autichienne. Surprendra-t-on en apprenant que le point de vue eurosceptique diffère légèrement? Nous nous bornerons à quelques remarques.

  1. L'Europe n'a aucune légitimité pour isoler l'Autriche
  2. Contrairement à ce qui a été clamé sur tous les toits, Haider n'est pas un «souverainiste»
  3. Cette affaire va être un nouveau prétexte pour fédéraliser l'Europe
  4. Surprise: Bourlanges a une solution ingénieuse

Au nom de quoi isole-t-on l'Autriche? 
L'édito du Monde (28/1/00) souligne que "les progrès de l'intégration européenne ont fait disparaître les frontières entre la politique extérieure et les affaires intérieures. Ce qui se passe en Autriche concerne tous les Européens." C'est là le coeur du débat. Ce qui se passe en Autriche concerne d'abord les Autrichiens. Les autres Européens, au même titre que les Américains, les Asiatiques ou les Israéliens, sont parfaitement fondés à se sentir préoccupés, s'ils estiment que l'Autriche s'engage dans une voie dangereuse. En aucun cas, ils n'ont un droit de regard sur la politique autrichienne. 
Au nom de quoi les quatorze membres de l'Europe s'arrogent-ils le droit de sermonner l'Autriche. Au nom de l'Europe que l'on construit? Mais de quelle Europe s'agit-il exactement? D'une Europe fédérale dans laquelle les États auraient les mêmes pouvoirs que les cinquante États américains? Dans ce cas, on rappellera que dans les années 60 et 70, de nombreux États du Sud américain se sont dotés d'un gouverneur ouvertement raciste. Ni les autres États, ni l'État fédéral ne se sont crus autorisés à les isoler. Depuis le début de l'année, les organisations noires boycottent l'État de Caroline du Sud (Libération 10/01/00) qui conserve sur ses bâtiments le drapeau sudiste, symbole évident de l'esclavagisme: il s'agit là d'un boycott de personnes privées, que ne se seraient pas permis Washington ou les 49 autres capitales. Visiblement, ce n'est pas vers ce type de construction que les européistes veulent engager l'Europe, puisque, en exigeant un droit de regard sur les nations que Washington n'a pas sur les États américains, ils construisent un super-État centralisé. Qui, en Europe, souhaite ce type de construction? À quel moment les peuples européens ont-ils donné leur aval pour ce projet? Dans ces conditions, que les européistes nous épargnent leur couplet sur la démocratie que Haider et le FPÖ bafoueraient. Haider a sans doute des pulsions antidémocratiques, mais, sur ce terrain il n'égalera jamais les européistes.


Le Boche Haider

 

Atlantiste, pangermaniste: Haider n'est pas "souverainiste" 
La presse résume le cas Haider en trois mots: xénophobe, populiste, anti-européen. "Sa vraie nature de xénophobe et d'antieuropéen jaillit à chacun de ses dérapages" pontifie Jacques Amalric (Libération 03/02/00) Car, bien entendu, pour la presse européiste ces trois mots sont équivalents et le psychodrame Haider aura été pour elle l'occasion d'incriminer les eurosceptiques français. S'il est exact que Haider n'est guère favorable à la construction européenne, son principal motif semble être la crainte de l'immigration de l'Europe de l'Est, et certainement pas la défense de la souveraineté de son pays. Car Haider est tout sauf un souverainiste, tel qu'on l'entend en France.

 

Haider et ses alliés conservateurs  ne craignent pas de brusquer la sensibilité neutraliste des Autrichiens et veulent adhérer à l'OTAN. Soumettre l'armée de son pays à un commandement américain? En voilà un drôle de souverainiste! 
Et surtout, parmi les déclarations tonitruantes de Haider que la presse a relatées, une a été peu soulignée: "en 1988, alors qu'il est depuis deux ans président du FPÖ, Jörg Haider déclare que «la nation autrichienne a été une fausse couche, une fausse couche idéologique»." (Libération 29/1/00) 
Par «fausse couche idéologique», Haider, en bon pangermaniste qu'il est, entend dire que les Autrichiens sont en fait des Allemands à qui les alliés, par idéologie selon lui, ont interdit le rattachement à leur vraie patrie. Voilà qui fait de Haider un nationaliste assez curieux: un nationaliste qui méprise son pays et rêve de dissoudre celle-ci dans l'Allemagne. Haider, cela ne vous rappelle rien, interpellent les bonnes âmes? Si! Haider rappelle cette faune bigarrée de socialistes, de démocrates-chrétiens et de nazis qui détestent leur pays et rêvent de le voir disparaître dans un magma allemand. Haider est né autrichien, il se rêve allemand. Haider rappelle incontestablement toute l'engeance européiste, ces Delors, Chirac et Jospin, qui sont nés français et construisent l'Europe allemande. 
Faire d'un individu qui hait son pays et veut le soumettre au commandement de l'OTAN  l'archétype du souverainisme est une imposture de plus de la presse européiste.

La solution au problème Haider? Fédéraliser davantage! 
Tous les européistes en conviennent: on ne peut pas laisser la situation en l'état, et, ritournelle connue, cette crise peut être transformée en une chance pour l'Europe. Comment? En fédéralisant davantage l'Europe! 
On imagine déjà les partisans de la fédéralisation à outrance dans les prochains débats (ou ce qui en tiendra lieu) sur les réformes institutionnelles de l'Europe: "Peut-on laisser le fascisme dans un pays membre prendre en otage toute la marche de l'Europe?" feindront de s'interroger les européistes, avec des trémolos dans la voix. Non bien sûr, répondront-il immédiatement, c'est donc la preuve qu'il faut supprimer le droit de véto et passer au vote à la majorité dans tous les domaines. CQFD 
C'est dans ce sens que Badinter s'est exprimé (Libération 5/2/00): "Nous risquons de payer cher la frilosité dont les gouvernements ont fait preuve lors de la conclusion du traité d'Amsterdam en juin 1997. L'Autriche, avec 5 % des droits de vote, ne peut s'opposer à aucune des décisions prises à la majorité qualifiée. En revanche, partout où règne la règle de l'unanimité, si chère au cœur des souverainistes, elle détient un droit de veto. C'est un moyen très fort de pression, voire de blocage, s'agissant de la réforme des institutions, de l'élargissement de l'Union, ou, parmi d'autres, de mesures en matière d'immigration, de justice ou de police. L'obsession de l'unanimité met la construction communautaire à la discrétion des moins européens." 
Dans le même numéro, Amalric se réjouit  "sans les ambitions du fringant démago-xénophobe de Carinthie, quatorze dirigeants européens (...) n'auraient pas eu non plus l'occasion de souligner aussi spectaculairement que les abandons de souveraineté que suppose la construction européenne iront croissant et n'épargneront aucun domaine, y compris le plus sensible, le politique." Amalric est tellement excité par cette perspective  qu'il en oublie la terminologie européiste obligatoire et se laisse aller à parler, comme les eurosceptiques, "d'abandons de souveraineté", alors ses congénères en européisme jurent d'ordinaire leurs grands dieux qu'il n'est pas question de souveraineté abandonnée mais de souveraineté partagée...

Jean-Louis Bourlanges
 

Bourlanges avec nous! 
Une fois n'est pas coutume, nous rendrons hommage à Jean-Louis Bourlanges, président pour la France de la secte européiste le Mouvement européen. Dans Libération (3/2/00), il écrit "Nous devons donc inventer un mécanisme permettant aux membres de l'Union européenne d'amener fermement un Etat qui déciderait de s'affranchir du système de valeurs qui est le nôtre à quitter le club, ce qui implique une modification substantielle du traité. Personne n'a le droit de se substituer au peuple souverain d'un Etat, mais aucun peuple souverain ne doit avoir le pouvoir d'imposer à ses voisins, tout aussi souverains que lui, une coopération forcée." 

Aucun européiste ne nous avait habitués à reconnaître que "personne n'a le droit de se substituer au peuple souverain d'un Etat." Sa proposition d'organiser un mécanisme de sortie de l'Union européenne  (C'est le but de ce site, nous ne demandons rien d'autre!) est également inédite. Elle rompt avec le mythe idiot de l'irréversibilité et l'inéluctabilité de la construction de l'Europe.Merci Bourlanges!

 

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