La
conscience morale Le XXIè siècle sera éthique,
répète sans cesse Chirac. Tony Blair, quant à lui,
veut mettre son éthique sur tout ce qu'il touche. Même les
ventes d'armes britanniques seront désormais éthiques. Aznar
allait-t-il se laisser distancer sur le terrain de l'éthique, marché
que tous les analystes financiers jugent très prometteur? C'était
inconcevable et Aznar n'a pas été économe de déclarations
à propos de l'arrivée du FPÖ au gouvernement autrichien.
Sans surprise, Aznar a exprimé une préoccupation peinée
de bon ton: "je suis inquiet à propos de l'Autriche en raison
de la perspective de forces extrémistes entrant dans un gouvernement
en Europe." Notre homme dirige à Madrid une coalition soutenue
notamment par Jordi Pujol, l'indépendantiste catalan qui, en matière
de populisme, ne craint personne. Cela n'en donne que plus de poids à
la position d'Aznar quand il dénonce le populisme chez les autres.
Le fait que l'Espagne au temps du franquisme n'ait jamais eu à subir
les sanctions diplomatiques que l'Europe s'apprête à prendre
contre l'Autriche, ne le trouble pas non plus.
Une foi en l'Europe inébranlable
Dans le petit manuel, Comment devenir un grand leader européiste
sans peine, la deuxième leçon apprend à
montrer un optimisme sans borne face à la construction européenne,
même et surtout en présence des échecs les plus retentissants
de l'Europe. Que lui inspire la débâcle de l'euro? La formule
magique que psalmodient les européistes, à savoir "l'euro-possède
-un-fort -potentiel -d'appréciation?" (À Bruxelles, l'Euro-11,
sans craindre le ridicule, l'a resservie une fois de plus: "le texte
[de l'euro-11] a réaffirmé avec force le «potentiel
d'appréciation de l'euro»" écrit Le Monde
2/2/00.)
Prudent, Aznar ne se prononce pas sur le taux avenir de l'euro, mais n'en
démord pas: la monnaie européenne est un "grand succès
européen qui nous a apporté stabilité, intégration
et prospérité."
Qui est-il défendu
de critiquer en Europe? Le secret était bien gardé, mais
Aznar a aussi de solides convictions en matière économique:
les gouvernements européens doivent cesser leur interventionnisme
en économie. "M.Aznar, relate l'IHT, a vivement critiqué
la politique économique, démodée, de certains membres
de l'UE. D'après lui, la vieille méthode de gouvernement
par l'intervention économique a pour résultat des impôts
supplémentaires, un chômage élevé et une faible
croissance (...) Il a pressé ses voisins européens à
abandonner le traditionnel modèle d'intervention de l'État
dans l'économie. La croissance de demain nécessite un engagement
au changement, a-t-il ajouté." Ce n'est pas sur ce site que
l'on défendra l'interventionnisme étatique, mais là
n'est pas le propos. Qui donc en Europe, sont ces attardés qui pratiquent
encore l'interventionnisme? L'IHT en voit trois principaux: la France
et l'Italie pour leur réduction autoritaire du temps de travail
et l'Allemagne pour ses multiples entraves au marché (tentative
d'empêcher le rachat du groupe allemand Mannesmann par l'anglais
Vodafone, obligation faite aux banques d'accorder un plan de sauvetage
à Philipp Holzmann AG, une grande entreprise de BTP en déroute).
C'est pourquoi Aznar critique la France, l'Italie, et... et c'est tout.
"M.Aznar
a refusé de critiquer le Chancelier Gerhard Schröder pour sa
récente intervention" remarque l'IHT. En revanche, envers la
France et l'Italie, pourquoi se gêner? "La semaine de 35 heures
en France et en Italie a été critiquée par Aznar pour
avoir «introduit une rigidité inutile dans le marché
du travail»(...) Je pense que définir la semaine de travail
par la loi est une mauvaise politique »"
Aznar, fine mouche, a parfaitement
compris les règles du jeu européen: au sein de l'Union européenne,
les quinze membres sont égaux, mais certains sont plus égaux
que d'autres. C'est pourquoi, si l'on peut critiquer sans réserve
la France, l'Italie ou d'autres, avec l'Allemagne en revanche, il convient
d'être plus prudent.
Nos amis américains
Enfin,
comment Aznar voit-il l'avenir politique et diplomatique de l'Europe? Après
un tel déluge de bons sentiments européiste, certains en
France, pourraient s'attendre à ce qu'Aznar appelle de ses vœux
"une Europe, puissance diplomatique forte qui soit un contrepoids à
l'hyperpuissance américaine", comme le répètent à
l'envi les européistes français. Il n'en est rien. Car Aznar
est européiste, mais il n'est pas français, si bien qu'il
ne partage pas l'obsession française, et uniquement française
de construire une Europe rivale des États-Unis. "Sur le front
politique, M.Aznar a reconnu qu'il était préoccupé
par la puissance écrasante des États-Unis. Mais il ne va
pas jusqu'à partager les craintes du premier ministre français
Lionel Jospin envers l'hégémonie américaine. «Je
m'oppose totalement à ceux qui cherchent à brouiller les
États-Unis et l'Europe», a-t-il dit. Je travaillerai à
poursuivre la relation entre les États-Unis et l'Europe." En
Espagne, le pays d'origine de Javier Solana (qui est passé l'année
dernière du poste de secrétaire-général de
l'OTAN à celui de M.PESC),
comme partout ailleurs en Europe, on est conscient que construire l'Europe
n'a jamais été incompatible avec le renforcement de l'OTAN,
bien au contraire.
Grand ami des Américains,
révérencieux envers l'Allemagne, scandalisé par l'Autriche,
ravi par l'euro. On le voit Aznar a toutes les qualités requises
pour assurer avec Tony Blair une part du «leadership européen».
Il devra toutefois corriger cette manie provinciale d'apparaître
derrière le seul drapeau de son pays et prendre exemple sur Jacques
Chirac, qui lui se sentirait déshonoré si ne flottait derrière
lui le beau drapeau de l'UE. |