ACTUALITÉ
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Quelques commentaires, sérieux ou frivoles,
sur l'actualité européenne


Euro: du deutsch mark à la lire (janvier 2000)
Le 4 janvier 2000, l'euro fêtait son premier anniversaire. Les lampions qu'on avait allumés à cette occasion ont été éteints et, depuis, la routine a repris le dessus: l'euro s'est remis à faire la seule chose qu'il sache faire, se casser la gueule.

Le 25 janvier, il est passé à nouveau sous la barre de 1$, qu'il avait frôlée brièvement en décembre 99. C'est désormais en cents et non plus en dollars qu'on évalue l'euro. Face à la livre et au yen, l'euro a également baissé. Mieux, le 15 janvier, la drachme grecque a été réévaluée de 3,5% face à l'euro. Le 25 janvier, "les dirigeants provisoires du Timor Oriental ont abandonné l'espoir que la province dévastée deviendrait le dernier pays à adopter l'euro. À la place, le Timor oriental adoptera le dollar comme monnaie officielle" (Financial Times 25/1/00) Les dirigeants de la résistance timoraise avaient en effet souhaité adopter la monnaie du Portugal, en signe de gratitude pour les soutiens portugais à leur cause, plutôt que d'adopter la monnaie des États-Unis, jugés trop proches de Djakarta.
La drachme grecque se réévalue face à l'euro, le tiers-monde n'en veut pas: voilà l'euro remis à sa place: celle d'un rival non pas du dollar ou du yen, mais celle de rival du rouble russe, du lek albanais ou du hrivna ukrainien.


Icône de l'européiste FT.
Jusqu'à présent, la balance semble pencher de l'autre côté.

Comment les européistes interprêtent ce enième accès de faiblesse? La célèbre Lex Column du FT (28/01/99) s'en prend à la Banque Centrale Européenne: "L'euro chute. Est-ce que cela préoccupe quelqu'un? Il y avait un silence radio à la Banque Centrale Européenne le jour où la monnaie a rompu la parité contre le dollar. Bien sûr il est préférable que les banquiers gardent pour eux leurs délibérations plutôt que de faire des déclarations générales, qui ne peuvent que désorienter les investisseurs ou qui manquent de crédibilité quand elles ne sont pas suivies d'action. Cependant, la confusion actuelle des marchés sur l'euro est telle qu'il serait difficile de l'aggraver."

Le Monde (29/1/00) avoue son incompréhension "ce mouvement peut surprendre compte tenu de l'amélioration de la situation économique dans la zone euro" et tente de l'expliquer par sa traditionnelle liste à la Prévert: le programme fiscal de Clinton, Haider en Autriche, et les scandales de la CDU...
Clinton et les impôts "Le président Bill Clinton a annoncé, jeudi, une réduction nette d'impôts de 250 milliards de dollars sur dix ans, qui a relégué au second plan les programmes d'allégements fiscaux dévoilés récemment en Allemagne et en France. Autant d'atouts «structurels» qui séduisent les investisseurs internationaux et les poussent à acheter des dollars plutôt que des euros." Quelques calculs simples suffisent à montrer que cet argument est absurde. 250 milliards de dollars sur 10 ans font 25 Md$ par an, soit 165 Md de francs d'impôts en moins par an pour les USA. À l'échelle de la France (population et PIB environ 5 fois moindres), cela revient à 33 milliards de francs par an, c'est-à-dire à peu près la baisse d'impôts promise par Jospin.Par ailleurs, Schröder a lui aussi programmé une baisse d'impôts d'une ampleur comparable à celle que connaîtront les Américains.
Haider et Kohl. "La situation en Autriche, avec l'éventuelle arrivée au pouvoir de l'extrême droite, et en Allemagne, avec la grave crise traversée par le parti chrétien démocrate (CDU), incite les gestionnaires américains et asiatiques à une prudence extrême. Ils préfèrent placer leurs capitaux dans des régions politiquement plus stables." Une crise politique en Autriche, qui représente 2,5% de la richesse de l'Europe serait en mesure de déstabiliser les 97,5% restants? Si c'est le cas, voilà qui en dit long sur la solidité des fondations de l'euro; et souhaitons bonne santé à sa majesté Jean, le souverain du Luxembourg. Car les européistes ne manqueront pas, le cas échéant, de proclamer que quand le Grand-Duc s'enrhume, c'est l'euro qui tousse...
Enfin, "la grave crise traversée par la CDU aurait aussi contribué à faire chuter l'euro". Pourquoi pas? Le 15 septembre 1999, alors que la CDU remportait toutes les élections régionales et que la cote de Schröder était au plus bas, le même journal écrivait "alors que la coalition au pouvoir de Gerhard Schröder accumule les revers électoraux, l'Allemagne a enregistré une croissance zéro au deuxième trimestre. Les difficultés allemandes  inquiètent les milieux financiers et les incitent à se détourner de l'euro." Quand la CDU se porte bien et que la SPD est en crise, l'euro s'effondre. Dans la situation inverse l'euro s'effondre également. Cet euro ne sait pas ce qu'il veut...
Le retour de l'inflation? Tout ceci n'est guère nouveau. Cela fait un an que, à propos de l'euro, la presse européiste ne se comporte plus qu'en Docteur Gubler: son activité se résume à publier, avec une régularité de métronome, des bulletins de santé truqués qui cachent la gravité de l'état de leur illustre patient. En revanche, la fin du mois de janvier a apporté un élément nouveau que les européistes n'ont pu éluder. "Le plongeon de la monnaie européenne a en effet comme conséquence de renforcer les tensions inflationnistes dans l'Euroland: la valeur des biens importés, et notamment celui du pétrole, libellé en dollars, en est renchérie. Les derniers indices publiés ont reflété le dérapage des prix à la consommation dans la zone euro: ces derniers ont progressé de 1,7 % sur un an, en décembre. L'impact inflationniste de l'euro faible augmente la probabilité d'une hausse du taux directeur de la
BCE dès sa prochaine réunion du jeudi 3 février." (Le Monde 29/1/00)  alors qu'il y a moins de 3 semaines, la commission européenne se félicitait, lors de l'anniversaire de l'euro, que celui-ci était "bon pour la maîtrise des prix".
Monnaie structurellement faible, risques inflationnistes, l'«Euroland» se trouve dans la situation de l'Italie des années 70 et 80. En construisant l'euro, les européistes espéraient avoir un bon gros deutsch mark élargi, stable et sans inflation, ils n'ont eu qu'une méchante lire italienne, faible et foireuse.


 

Marée noire: créons la grande Europe de la mer! (janvier 2000)
La marée noire qui a touché les côtes françaises a été pour quelques évaporés l'occasion d'entonner une ritournelle connue: "Il-faut- construire- l'Europe!".
À tout seigneur, tout honneur, Jacques Chirac, le premier européiste de France, a déclaré samedi 15 janvier que "la France devait être très présente sur ces dossiers de la sécurité maritime et de l'environnement marin" (Le Monde 19/01/00). Comment? Par la seule façon désormais légitime d'exister, bien évidemment: "à l'occasion de la présidence [française] de l'Union européenne en juin". (ibidem)
Alors que même les Verts préconisent des réponses françaises en proposant "de porter la limite des eaux territoriales françaises à 200 miles nautiques (372 km), afin de mieux contrôler les navires qui y entrent", Jean-Pierre Chevènement, lui, se croit obligé d'en appeler à l'Europe: il "a plaidé pour un renforcement des règles européennes". La cause est entendue, pour Chirac, comme pour Chevènement: pour prévenir les marées noires ou inspecter des navires, la France, ce résidu négligeable, ne peut agir seule et doit, en toutes circonstances, se recommander de Bruxelles.
Le président et le ministre de l'intérieur n'ont pas été les seuls à invoquer la marée noire pour accroître les pouvoirs de l'Europe: un certain Michel Bougeard, qui se présente comme membre de l'Association française des capitaines de navire (Afcan), en est également convaincu. (La marine marchande française n'existe pratiquement plus, si bien que le courageux capitaine est probablement désoeuvré. Aussi notre homme tue-t-il le temps en se consacrant à la réflexion.) Dans une tribune publiée par Libération (12/01/00), il écrit: "Les quinze pays de la communauté doivent s'unir pour faire respecter les mesures prises et se donner les moyens suffisants en hommes et matériels pour les faire appliquer et effectuer les contrôles qui s'imposent. Un pays ne peut lutter seul en Europe, même en édictant ses propres lois draconiennes, répressives et dissuasives pour écarter de ses ports les navires hors normes. (...) Si une Euro Coast Guard bâtie sur ces bases voit le jour dans les mois à  venir, on pourra dire que le naufrage de l'Erika aura eu quand même une conséquence constructive. Notre ministre de l'Environnement pourrait s'en faire l'ardent défenseur, elle qui, en 1994, déclarait: «Il faut créer un corps de gardes européen.»"
Le Monde (13/01/00), ne pouvait pas rester à l'écart de ces appels enthousiastes à renforcer l'Europe; dans une envolée lyrique qui fleure bon son Malraux de banlieue, il titre "L'ordre maritime sera européen ou ne sera pas" et écrit: si la France refusait aux rafiots l'accès de ses ports, "aussitôt les armateurs de ces bâtiments ou leurs affréteurs les enverraient à Anvers, Gand, Rotterdam ou Barcelone y livrer leurs marchandises.(...) Si renforcement de la réglementation il peut y avoir, elle doit avant tout être le résultat d'un accord à quinze, dans l'Union. Or dans ce domaine, l'Europe est impassible et impuissante. La tentative, il y a cinq ans, de mettre en place un pavillon européen a échoué. L'idée, relancée très récemment par le Portugal, de créer une Agence européenne de la mer reste en plan."
Pour prévenir les marées noires, la solution est toute trouvée: il-faut -unir-les-15 -pays-européens car un pays-seul ne-peut-pas-lutter", on a l'impression d'avoir déjà entendu cela, en d'autres circonstances.
Un pays seul ne peut pas lutter?  Si la France, interdit les «navires-poubelle», ceux-ci seront affrétés vers d'autres ports européens moins regardants, susurrent les européistes. C'est incontestable. De même que si le SMIC horaire en France était à 1_F (pardon à 0,15_€) l'industrie textile ne se délocaliserait pas vers le tiers monde. Dans le même esprit, si la pédophilie n'était pas interdite en France, la prostitution enfantine ne se délocaliserait pas en Thaïlande et notre pays gagnerait des parts de marché sur ce tourisme particulier... Les beaux esprits européistes, dont on connaît l'intelligence aiguë, viennent de découvrir que la réglementation est nuisible à l'activité économique, mais qu'elle est acceptée comme un moindre mal quand certaines valeurs, telle la dignité humaine, sont en jeu. Pourquoi la protection des côtes ne relèverait-elle pas, elle aussi, de ces valeurs, puisqu'il paraît que l'Europe est une civilisation commune qui partage, entre autre, un même attachement à l'environnement?
Créer une Agence européenne de la mer? Est-il nécessaire de souligner combien cette idée est judicieuse: on ne sait pas encore très bien à quoi cette agence servirait. C'est une raison supplémentaire d'en accélérer la mise en place. Il est d'ailleurs inexplicable que personne n'ait songé à l'urgence d'autres agences européennes, tout aussi inutiles, donc tout aussi indispensables. La tempête qui a dévasté la France aurait dû inciter la classe politique française à suggérer la création de l'Agence européenne du vent. Ces nouvelles agences européennes viendraient s'ajouter aux agences existantes, dont on ne souligne pas assez l'importance. Parmi elles, on signalera l'Office communautaire des variétés végétales, qui a la tâche considérable de veiller aux brevets des nouvelles variétés végétales. Tout aussi cruciale, la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail qui, depuis 1975 "a pour mission de contribuer à la conception et à l'établissement de meilleures conditions de vie et de travail par une action visant à développer et à diffuser les connaissances propres à aider cette évolution. Dans cette perspective, les tâches de la Fondation sont de développer et d'approfondir, à la lumière de l'expérience pratique, les réflexions sur l'amélioration du milieu de vie et des conditions de travail à moyen et à long terme et de déceler les facteurs de changement."

Avec l'Erika, c'est l'Europe qui a couléL'UE a déjà des responsabilités En fait, L'Union européenne n'a pas attendu la création hypothétique de cette Agence européenne de la mer pour se mêler de ces questions: "L'Union, compétente en matière maritime, dispose d'une directive de 1994 qui prévoit un système d'agrément européen des sociétés privées de classification afin de lutter contre les certificats de complaisance. Un second texte de 1995 oblige les Quinze à inspecter au moins 25% des navires qui font escale dans leurs ports" écrit Libération (15/01/00). Le Monde (19/01/00) complète: "Pour éviter la délivrance de certificats de complaisance, l'Union [européenne] a adopté en 1994 une directive qui établit un système européen des sociétés de classification: les États membres ne peuvent s'adresser qu'à des sociétés figurant sur la liste des sociétés publiée par la Commission, laquelle effectue des audits complets de chaque société agréée. C'est au titre de cette directive que, le 21 décembre 1999, elle a demandé des informations par écrit à la société italienne de classification de l'Erika, dénommée Rina, ainsi qu'aux autorités italiennes qui ont effectué une inspection renforcée du navire en mai 1999 à Porto Torres, en Sardaigne et n'ont signalé aucune anomalie".
L'UE a échoué Ainsi, depuis 5 ans, la commission de Bruxelles est chargée d'établir la liste des sociétés autorisées à certifier les navires entrant dans les ports européens. En autorisant la société italienne Rina qui, d'après les premiers éléments de l'enquête, a accompli de manière fantaisiste son inspection du pétrolier Erika, la commission de Bruxelles a fait honneur à sa réputation d'impéritie et de légèreté. On ne peut plus dire désormais que sa principale activité consiste à subventionner les vaches fantômes en Corse, à salarier les dentistes de Châtellerault, ou à édicter des directives sur le calibre des cornichons: elle appose aussi son prestigieux label sur des entreprises incompétentes ou corrompues qui certifient les bateaux sur le point de se disloquer.


Loyola de Palacio
Le commissaire européen des transports et de l'énergie est décidé à établir toutes les responsabilités de la marée noire. Enfin, presque toutes...

Il faut prendre ses responsabilités Cette marée noire a-t-elle emu beaucoup de monde à Bruxelles? Oui! "Sans attendre la présidence française de l'Union, au second semestre, la Commission européenne entend réouvrir (sic!) le dossier de la législation sur le transport maritime. Loyola de Palacio, la Commissaire chargée des transports et de l'énergie, devait intervenir, mardi 18 janvier devant le Parlement européen de Strasbourg, pour souligner sa volonté d'agir vite et de manière déterminée  afin d'éviter que des drames comme celui de l'Erika se reproduisent.

«Nous devons renforcer la responsabilité des affréteurs, des sociétés de classification, ainsi que la lutte contre les pavillons de complaisance, notamment par des contrôles plus stricts et systématiques dans les ports.» estime-t-elle. (Le Monde 19/01/00) 
Tout est clair, pour le commissaire Palacio: tous les intervenants dans la chaîne du transport maritime doivent être plus vigileants. De l'affréteur, à l'armateur, des autorités portuaires aux sociétés de vérification. C'est-à-dire tout le monde, sauf... l'autorité de contrôle de ces sociétés, la comm' européenne.
Il serait de mauvaise foi de prétendre que la commission de Bruxelles est responsable de la marée noire. Cependant, force est de constater que l'Europe a échoué dans le rôle modeste qui est le sien dans le transport maritime, et qu'il est par conséquent absurde de vouloir la renforcer à l'occasion de cette catastrophe.



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