ACTUALITÉ
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Quelques commentaires, sérieux ou frivoles,
sur l'actualité européenne


Les voeux d'un renégat qui vieillit mal (décembre 99)
Chevènement vient de confier à l'illustre artiste Guy Peelaerte le soin de réaliser la carte de voeux que ses proches et ses collègues auront la chance de recevoir. Le résultat a fait beaucoup jaser, et il y a de quoi. Il s'agit d'un montage par ordinateur où l'on reconnaît les grandes figures de l'histoire de France: Jeanne d'Arc, Napoléon, Gambetta, Clemenceau, de Gaulle, et... Jean-Pierre Chevènement.
De Gaulle tient par le bras une Marianne naïve, Gambetta est représenté dans son ballon et Clemenceau semble tirer sa révérence. Napoléon présente à Jeanne d'Arc des hommages d'un genre particulier. Et enfin, l'héritier supposé de cette illustre lignée, Chevènement est représenté bottant le cul de méchants capitalistes.
On sait que Chevènement n'a jamais été avare de sarcasmes envers ses adversaires ou ses amis politiques. Il nous avait en revanche peu habitués à des sarcasmes envers lui-même. C'est du moins ainsi que nous avions cru pouvoir interpréter cette carte de voeux: après une année qui a été marquée par la trahison de deux des principaux opposants à Maëstricht, Séguin et Chevènement, nous croyions que le ministre de l'intérieur voulait montrer, par une carte volontairement grotesque, qu'il avait de l'humour, même envers lui-même, après douze mois qui ont été calamiteux pour lui et pour ses idées. Car à quoi riment ces boursicoteurs maltraités? L'année 1999 fut-elle donc si terrible pour eux? Il semble que non. Le cru 99 a été l'un des meilleurs pour la bourse: "le CAC 40 aura connu en 1999 la deuxième plus forte hausse annuelle depuis sa création avec +51,12 %, selon les chiffres publiés jeudi en clôture par ParisBourse, l'organisme de gestion des marchés parisiens." (Le Monde 31/12/99)
Mais non, il n'en est rien, il ne s'agit pas d'un exercice d'auto-dérision. D'après «l'artiste» auteur de la carte, qui a rencontré Chevènement "deux fois en novembre", le ministre "voulait prolonger son dernier livre (NDLR: «la République contre les bien- pensants», Plon)" (Le Parisien 30/12/99) Comme le livre où il commercialise les discours qu'il a prononcés depuis 97, la carte entend ainsi montrer que Chevenèment est un authentique rempart de la République. (Par ailleurs, ce livre est parfaitement inutile aux internautes qui attendraient encore quelque chose de Chevènement, puisque les discours en question sont disponibles sur le site du ministère.)
Au regard de son bilan 1999, on ne voit pourtant pas très bien en quoi Chevènement peut incarner un défenseur de la République "contre les les bien-pensants".

Les exploits de Chevènement le «républicain» en 1999
La Constitution de la Vè République

Chevènement appartient au gouvernement qui, le 18 janvier 1999, a fait modifier la Constitution de manière à rendre celle-ci compatible avec les abandons de souveraineté prévus par le traité d'Amsterdam. Quelques mois plus tard, le 1er mai 1999, ce même traité entrait en vigueur en France. Sa réaction? "Le traité d'Amsterdam est tellement nul, qu'il ne mérite pas d'être combattu."

"La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice." (Titre I art.3)

Chevènement appartient au gouvernement qui a participé à la fantastique guerre américaine de destruction de la Serbie. Comme en 1991, lors de la guerre du golfe qui avait provoqué sa démission, la France se faisait l'auxiliaire des États-Unis. L'aviation française fut placée sous commandement de l'OTAN et le parlement ne fut pas réuni pour autoriser la guerre. A-t-il songé à démissionner? Nullement. Pour montrer sa réprobation de l'équipée guerrière dans les Balkans, il s'est contenté de distribuer à ses collègues du gouvernement un tract reproduisant la prose à prétention philosophique d'un obscur penseur allemand.

"Le Président de la République est le chef des armées." (Titre II art.15) "La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement". (TitreV art.35)

Tout au long de l'année, le ministère Chevènement a signé des milliers «d'emploi-jeunes». Tenter de restaurer l'ordre républicain dans les banlieues, la fonction officielle de ces nouveaux «adjoints de sécurité», serait louable si derrière ces bonnes intentions ne se cachaient des pratiques qui le sont moins: car dans la réalité il s'est agi de détourner les règles de recrutement des agents publics, afin de pouvoir recruter des jeunes en fonction de leur quartier, de leur origine... Alors que depuis deux siècles, seul le mérite pourvoyait aux emplois publics, depuis Jospin, Chevènement et Aubry, les origines ethniques sont désormais prises en compte. À la fin de l'année, Chevènement a confirmé sa métamorphose communautariste en établissant l'obligation de la parité aux élections.

La République "assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances." (Préambule, article 1) 

Le 13 décembre 1999, il a assisté impavide à la réunion où Jospin avait convié des sécessionnistes corses.

"La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. La République est une et indivisible" (ibidem) 

 

Devant un tel fiasco, on ne sait trop comment qualifier un homme qui n'a plus de «républicain» qu'un vague vernis et de grands discours, et qui n'a plus de sympathique que la haine tenace que lui portent les Verts, Le Monde, Libération et les autres histrions de l'ultra-gauche. De Don Juan de lavabo, comme Clemenceau traitait ses adversaires? De moulin de Valmy, qui a pu symboliser la république autrefois mais dont il ne reste rien après la tempête? De "couteau sans manche à qui il manque la lame", comme Chevènement qualifiait le projet du PS en 1996? C'est encore trop charitable.

Jean-Pierre Chevènement présente à tous les citoyens de la nation- Europe ses meilleurs voeux fédéralistes et communautaristes.
La carte de voeux à laquelle vous avez échappé
 

À vrai dire, la seule comparaison valable qui vienne à l'esprit est celle-ci: Chevènement ressemble plus à l'euro qu'à un quelconque rempart. Au début de l'année, l'un comme l'autre roulait des mécaniques. L'euro, né sous les glapissements d'allégresse de ses onze géniteurs, allait devenir une monnaie internationale majeure, et le dollar, cette mauviette, n'avait qu'à bien se tenir. Chevènement, ressuscité à la suite d'un «miracle républicain», allait faire fi des rieurs et des critiques, il ne mettrait plus son drapeau dans sa poche, les sauvageons et Cohn-Bendit n'avaient qu'à bien se tenir. Un an plus tard que reste-t-il de ces mâles résolutions?

 

Rien. L'euro s'est effondré et vivote sous les regards peinés de ses onze géniteurs qui se refusent à admettre qu'ils ont enfanté un petit trisomique. De même, Chevènement a reculé sur tous les fronts où il était attendu et gesticule sous les yeux peinés des troupes faméliques du MDC qui se refusent à admettre la déchéance de leur grand homme. Voilà bien le drame de Chevènement: il se prend pour un héros, alors qu'il n'est plus qu'un euro.

Bienvenue à la Turquie! (décembre 99)
Le sommet européen d'Helsinki a accordé à la Turquie le droit d'être candidat à l'Union européenne. Pour signifier au premier ministre turc la bonne nouvelle, les 15 chefs d'État et de gouvernement lui ont accordé l'insigne honneur de partager leurs agapes. Cette candidature a été vivement commentée, en particulier en France. Pour notre part, nous nous réjouissons sincèrement de cette candidature.
La paix: cause ou conséquence de l'UE? Les Européens ont assorti l'acceptation de la candidature turque de deux conditions: la Turquie devra mieux respecter les droits de l'homme et elle devra régler "dans les instances appropriées, ses différends avec la Grèce" (Le Monde 16/12/99) Si l'on comprend bien, la Turquie doit d'abord être en paix avec la Grèce avant de pouvoir adhérer à l'Union européenne. Cela tombe sous le sens, mais cela contredit la propagande européiste qui assure que c'est la construction européenne qui a apporté la paix en Europe. Comme le faisait observer Henri Guaino à Cohn-Bendit qui venait de beugler le slogan "l'Europe, c'est la paix" au cours d'un débat  "quand on dit «la construction européenne c'est la paix», on confond la cause et la conséquence. La paix n'est pas la conséquence de la construction européenne, elle en a été la condition. C'est le désir de paix et de coopération qui permet de construire des institutions européennes et non l'inverse." (1) Ce qui a été vrai entre la France et l'Allemagne au début de la construction européenne dans les années 50, l'est resté cinquante ans plus tard: il faut d'abord être en paix pour pouvoir bâtir des institutions communes; et ce ne sont pas des institutions communes qui apportent la paix, contrairement à ce que prétend le matraquage européiste.

L' Europe aux ordres des USA et de l'Allemagne Une fois de plus, les Européens accèdent aux souhaits des États-Unis et de l'Allemagne en acceptant la candidature de la Turquie, alors qu'ils l'avaient sèchement repoussée en 1997 au sommet de Luxembourg, malgré les protestations de Madeleine Albright. Cette fois-ci, Bill Clinton a bien préparé le sommet européen; à deux reprises en moins d'un mois, il a enjoint les Européens d'accepter la candidature turque. "Lors d'un discours à Washington à l'occasion du 10è anniversaire de la chute du mur de Berlin (...) M.Clinton a appelé les membres de l'Union européenne à faire preuve de vision en acceptant, en son sein, la Turquie." (Le Monde 10/11/99). Quelques jours plus tard, Bill Clinton déclarait lors du sommet de l'OSCE, "Je suis déterminé dans mon soutien à la candidature de la Turquie à l'Union européenne [parce que la solution de tous les grands problèmes du monde] serait renforcée si la Turquie était pleinement partenaire d'une Europe respectant les diversités culturelles et religieuses et partageant la dévotion de la démocratie et des droits de l'homme." La cause de la Turquie auprès de l'Union européenne avait un remarquable VRP, en la personne de Bill Clinton. Bien entendu, ce VRP de luxe a été écouté au sommet d'Helsinki. Et le 10 décembre, il manifesta sa satisfaction: "C'est avec grand plaisir que j'accueille l'offre de l'Union européenne à la Turquie du statut de candidat à  l'UE, ainsi que l'accord de la Turquie. Les États-Unis soutiennent depuis longtemps la tentative turque de rejoindre l'UE, car ils pensent  qie cela apporterait des bénéfices durables non seulement pour la Turquie, mais aussi pour tous les États membres de l'UE et pour les États-Unis." (texte sur le site du Département d'État)
Comme le souligne Valeurs actuelles (18/12/99), l'Allemagne n'a pas ménagé ses efforts elle non plus pour accueillir la Turquie.



Les deux parrains de la candidature turque à l'Union européenne: Clinton et Schröder 
(Ici, le 19/11/99 lors du sommet de l'OSCE. On notera que, comme dans la plupart des rencontres Europe- États-Unis, un protocole non- écrit veut que l'Allemagne siège à côté des USA.)

"Ce rapprochement entre l'UE et la Turquie s'est fait sous le parrainage de l'Allemagne et des États-Unis. L'annonce de l'ancrage de la Turquie dans le monde des "valeurs occidentales" sert leurs intérêts. Deux hommes ont mis au point cet accord: l'Allemand Günter Verheugen, le commissaire européen à l'élargissement, et l'Espagnol Javier Solana, ancien secrétaire général de l'Otan, aujourd'hui représentant de l'UE pour la politique étrangère et la sécurité.
Le 9 décembre, Verheugen affirmait au quotidien Die Welt que la Turquie ne pouvait pas attendre «éternellement» son entrée dans l'Union européenne:

«Si nous ne donnons pas à Ankara une perspective claire, alors la Turquie sera perdue pour l'Occident.» Pour l'Occident ou pour l'Allemagne? Les Allemands sont les meilleurs alliés des Turcs dans cette longue procédure, pour des raisons commerciales et historiques. L'axe Berlin- Ankara traverse toute l'Europe orientale, et notamment les Balkans, déjà transformés en "zone mark" sous la bienveillante tutelle des Nations unies et de l'Otan. En Grèce comme en Turquie, les Allemands aspirent à être les maîtres du jeu."
Concernant la position allemande, il convient de noter la différence entre le Kohl finissant et Schröder. À la fin de son mandat, le premier, dans la perspective des élections générales de 1998, était obsédé par les réticences de l'électorat allemand à l'idée de voir entrer la Turquie dans l'UE, et s'y était opposé. Son successeur, lui, a décidé de préférer les intérêts politiques de l'Allemagne aux inquiétudes de ses électeurs.

Les européistes fanatiques furieux. L'Europe n'apporte pas la paix; l'Europe est une entreprise aux ordres de l'Allemagne et des États-Unis. Mais la bonne nouvelle que constitue la prochaine entrée de la Turquie n'est pas tant le rappel salubre de ces quelques vérités élémentaires. La vive déception que cette candidature a procurée aux européistes les plus forcenés est autrement plus réjouissante: c'est ainsi que la fine fleur des «intellectuels» européistes ne décolère pas.

Bonne nouvelle: les européistes fanatiques sont furieux.

L'excellent Jacques Julliard s'indigne dans le Nouvel Obs (23/12/99) que les gouvernements européens fassent de l'Europe "un ramassis informe d’Etats de toutes tailles, de tous régimes, de toutes histoires sans réussir à mettre en place le seul principe capable d’introduire un peu d’ordre et d’harmonie dans ce formidable foutoir en construction: un gouvernement commun, une volonté commune. (...) Quand l'Europe des Quinze se sera gonflée de l’Estonie, de la Hongrie, de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovénie, de Chypre, en attendant la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, Malte (série en cours), cet agrégat inconsistant de peuples désunis ne pourra se reconnaître qu’un seul chef: l’Amérique.(...) Les «souverainistes» de France, mais aussi d’Angleterre, de Scandinavie et même d’Allemagne peuvent dormir tranquilles, l’Europe de leurs craintes n’est pas près de voir le jour: tandis que son élargissement progresse à vitesse électronique, son approfondissement, autrement dit le resserrement de ses institutions, avance à pas géologique.(...) L’Europe sera une sorte de Jockey Club des peuples: cela ne sert à rien mais on se bat pour en être."

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Le non moins remarquable Alain Duhamel, se désole (Libération 17/12/99) qu'à "Helsinki, l'Europe- puissance a progressé avec la décision de mettre sur pied une force de réaction rapide de la taille d'un corps d'armée. Elle a régressé avec le choix historique d'admettre la Turquie parmi les nations officiellement candidates à l'entrée au sein de l'Union européenne. (...) Si l'on veut en revanche une Europe- puissance avec une forte identité, une volonté collective, une culture commune, une défense et une diplomatie solidaires, des normes sociales identiques, une conscience et une ambition spécifiques, si l'on veut une Europe autodéterminée, indépendante, alors il lui faut de frontières claires et cohérentes, s'arrêtant aux limites de la Scandinavie, des pays baltes, de la Pologne, de la Bulgarie. Faute de quoi il ne s'agirait que d'un puzzle artificiel, sans énergie et sans âme."

Les deux penseurs importants s'inquiètent de voir l'Union européenne devenir "un agrégat inconsistant de peuples désunis"  et "un ramassis informe d’Etats de toutes tailles, de tous régimes, de toutes histoires" pour le premier, "un puzzle artificiel, sans énergie et sans âme" pour le second.
Où est le problème? Si l'Union européenne devient "un agrégat inconsistant de peuples désunis", ou "un puzzle artificiel, sans énergie et sans âme", elle sera enfin conforme à ce qu'est l'Europe: rien, sinon une entité géographique.
C'est bien ce qui a rendu si chagrines les deux consciences morales de la presse parisienne. L'«élargissement» de l'UE à l'Est a été préféré à son «approfondissement», c'est-à-dire à sa fédéralisation aggravée. Comme le remarque l'Herald Tribune "à Helsinki, le vieux débat entre «l'élargissement» et «l'approfondissement» de l'Union [européenne] a penché de manière décisive en ajoutant 12 ou 13 futurs membres" (IHT 17/12/99) Et cet élargissement inconsidéré rendra délicat de fédéraliser davantage les institutions existantes: imagine-t-on d'élargir l'«espace Schengen» (2) à la Turquie, qui compte parmi ses voisins les aimables États que sont la Syrie, l'Irak et l'Iran, quand on sait à quel point la Turquie maîtrise mal ses frontières? Difficilement. Imagine-t-on d'étendre à un pays qui soumet l'Europe à une pression migratoire considérable, la liberté de circulation et d'établissement? Évidemment non.
L'admission de la Turquie n'écarte pas la marche vers le fédéralisme européen, comme l'éminent P r Julliard feint de le craindre. Elle ne présage pas non plus l'avènement d'une "European Union à la de Gaulle" (en américain dans le texte) qu'annonce l'Herald Tribune (17/12/99). Elle incite encore moins "les «souverainistes» de France (...) [à] dormir tranquilles". Simplement, pour la première fois, grâce à la Turquie, la construction européenne devra se diriger vers ce que l'on a appelé dans les interminables débat sur l'avenir de l'UE, l'Europe «à la carte», à «cercles concentriques», ou «à plusieurs vitesses», rompant ainsi avec la manière jusque-là adoptée pour les élargissements, chaque nouvel État admis obtenant les mêmes droits et étant soumis aux mêmes devoirs que les membres anciens.
L'Europe se détourne ainsi de l'obsession de «progresser» à chaque sommet vers une fédéralisation à marche forcée mais devra perpétuellement quel type de coopération doit être mis en oeuvre. Enfin une bonne nouvelle.


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Note: (1) Henri Guaino/ Daniel Cohn Bendit. La France est-elle soluble dans l'Europe? Albin Michel 1999 p.126
(2) L'espace Schengen a établi la liberté de circulation entre la plupart des 15 (sauf la GB et l'Irlande) ainsi que la suppression des contrôles aux frontières.


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