ACTUALITÉ
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Quelques commentaires, sérieux ou frivoles,
sur l'actualité européenne


«Souverainisme» = pétainisme? (novembre 99)
Un vieux Lord anglais, qui n'avait pas pris la parole une seule fois à la Chambre en trente ans de vie politique, se justifia par ce mot: "Entre le risque de passer en silence pour un imbécile et celui de ne plus laisser place au doute en discourant, j'ai choisi le moindre."
Christian Sautter, le successeur de Dominique Strauss-Kahn à Bercy, n'a pas mis longtemps pour dissiper les doutes qu'on pouvait émettre sur sa personne. De lui, on ne savait à peu près rien, sinon qu'il a été un proche collaborateur de François Mitterrand, ce qui prédispose bien à son endroit. La fréquentation du grand homme lui aura appris, de toute évidence, à placer au dessus de tout l'honnêteté en politique et l'intransigeance avec la période de Vichy.
Lors de sa première intervention publique en tant que ministre des finances, il n'a rien trouvé de plus urgent que de dénoncer le «souverainisme», le "parti du repli": "cette excitation périodique pourrait être pris à la légère, si elle ne nous renvoyait pas à un passé que nous ne pouvons pas oublier et qui a triomphé sous Pétain" (Le Monde 6/11/99)
Revoilà les-heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire appelées à la rescousse par un politicien de moyenne envergure! L'excommunication absurde tenant lieu d'argumentation! Ce Christian Sautter a de la ressource! Sautter n'est pas habitué aux feux de la rampe, mais comme disait Bossuet, il a été bien briefé.
On sait que les grands esprits se rencontrent: François Léotard, dont on ne parle plus guère que dans les chroniques judiciaires, essaie d'attirer l'attention sur lui par une de ses tribunes où, du haut de sa chaire de moraliste désœuvré, il met en garde nos contemporains contre le terrible danger qui les guette: le «souverainisme» défendu par Charles Pasqua pourrait n'avoir "rien d'autre que le goût amer et trouble d'un passé incertain" (Le Monde 2/11/99) De quel passé parle-t-il? Du passé- qui-ne- passe-pas à n'en pas douter.
Assimiler le pétainisme et le «souverainisme» est une idée tellement bête et mensongère qu'elle a naturellement trouvé sa place à l'éducation nationale: un certain Bernard Lemaire, obscur professeur d'histoire, écrivait dans Libération (18/05/99). "Rappelons que le pétainisme - «souverainisme» avant la lettre, est d'abord un nationalisme du sol".
Devant cette avalanche de sottise, on a presque honte de devoir rappeler que Pétain a livré la souveraineté de la France aux Allemands, ce qui fait de lui un bien étrange «souverainiste». Faut il également rappeler qu'il a aboli la République en France. S'il y a des groupes politiques qui s'évertuent à rééditer ces deux exploits, ce sont bien les européistes et non pas les «souverainistes» qui s'y opposent.

Les cocotiers, derniers remparts de la souveraineté nationale? (oct.99)
Est-ce l'effet du décalage horaire, du punch ou du soleil? Nul ne le sait. Toujours est-il que Lionel Jospin, en déplacement aux Antilles, y a tenu des propos qu'il aurait jugés obscènes sous d'autres latitudes. Interrogé par des élus locaux sur les difficultés que rencontrent les ressortissants des États des Caraïbes à obtenir un visa pour les Antilles françaises, Jospin eut cette réponse surprenante: l'examen des demandes de visas "sera mené État par État, en fonction des situations particulières (...), et devra tenir compte des principes qui fondent la responsabilité de l'État en matière de sécurité et de protection de la souveraineté nationale". (Le Monde 29/10/99)
Protéger la souveraineté nationale? Cette vieille lune? Ce hochet pour eurosceptiques? Voilà qui étonne de la part d'un homme qui manque rarement une occasion de vanter la «modernité» de sa politique et de sa «méthode».
Cela étonne d'autant plus que le même homme, dix jours plus tôt, lors du sommet européen du 16 octobre 99 en Finlande, a signé un document qui est l'exact contre-pied de ses déclarations aux Antilles. Parmi les résolutions prises par les quinze, figure en effet la décision de "poursuivre la mise en place d'une politique commune active en matière de visas". Il est même envisagé "l'établissement de bureaux communs chargés de la délivrance des visas UE". (Le Monde 16/10/99)
Comme l'indique la déclaration des quinze, il ne s'agit que de "poursuivre" ce qui a déjà été décidé auparavant, à l'occasion du traité d'Amsterdam ( cf. extraits du traité d'Amsterdam) qui prévoit de «communautariser» autant que possible la délivrance des visas. Dans le cadre de ce que le traité appelle avec emphase "la création d'un espace de liberté, de justice et de sécurité", l'article 73-J stipule que "dans les cinq ans qui suivent l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam", c'est-à-dire en mai 2004, il sera de la responsabilité du Conseil européen de décider des menues affaires suivantes:

  a) les normes et les modalités auxquelles doivent se conformer les États membres poureffectuer les contrôles des personnes aux frontières extérieures;
b) les règles relatives aux visas pour les séjours prévus d'une durée maximale de trois mois, notamment:
i) la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures et de ceux dont les essortissants sont exemptés de cette obligation;
ii) les procédures et conditions de délivrance des visas par les États membres;
iii)un modèle type de visa;
iv) des règles en matière de visa uniforme;

Si l'on comprend bien la démarche de Jospin, la délivrance des visas est une prérogative essentielle de l'État que l'on ne saurait remettre en cause aux Antilles françaises. En métropole, en revanche, ces scrupules sont déplacés et on doit déclarer caducs "les principes qui fondent la responsabilité de l'État en matière de sécurité et de protection de la souveraineté nationale", que Jospin déclare idolâtrer, mais seulement sous les tropiques.
Venu aux Antilles annoncer "un plan d'urgence pour la banane" (Le Monde 30/10/99), Lionel Jospin en repart avec le symbole tout trouvé pour l'idée qu'il se fait de la République: celui d'une République bananière.

La «stratégie» de Maëstricht pour une justice européenne fédérale (oct.99)
On ne contestera pas à Romano Prodi, le président de la commission européenne, une certaine forme de franchise. Le sommet de l'Union européenne, qui s'est tenu le 16 octobre 99 en Finlande, a mis en place l'ébauche d'un «espace judiciaire européen» que Prodi a commenté en ces termes: "Nous avons adopté la même stratégie que celle que nous avions décidée pour le marché intérieur avec ce tableau de marche. Souvent le principe de subsidiarité prévaudra, mais quelques rapprochements [des législations] seront nécessaires" (Le Monde 19/10/99).
Pourquoi pareille prudence? Parce que, commente Le Monde, Prodi a jugé "important de rassurer les «eurosceptiques» de tout bord contre le risque d'un quelconque coup de force supranational"

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Romano Prodi
Romano Prodi
Vers une justice fédérale,
ma piano

C'est très aimable de la part du Pr Prodi de vouloir rassurer les eurosceptiques, mais ceux-ci n'attendent guère de réconfort du chef du «gouvernement» de l'Europe, comme il aime à se faire appeler. Sa déclaration est un bel aveu sur la manière de construire son Europe fédérale: par petits pas, subreptices et honteux. Si les européistes avançaient à visage découvert, et assumaient leurs fantasmes fédéralistes au moyen d'un "coup de force supranational", en assujettissant les autorités judiciaires nationales à une justice européenne, il se déclencherait dans chaque pays de l'Union européenne un rejet violent.

Par expérience, les européistes savent qu'il convient d'avancer prudemment: on ne détruit pas les souverainetés nationales au grand jour. En 1954, quand les intégristes de l'Europe fédérale avaient tenté de créer une armée européenne, en lieu et place des armées nationales, la réaction ne s'était pas fait attendre: devant le tollé en France, l'Assemblée nationale rejeta le projet qui dut être abandonné.

La «stratégie du marché unique»
Nul besoin de faire des procès d'intention aux européistes, il suffit de les prendre au mot. Au dire même de Prodi, l'«espace judiciaire européen» se fera donc par "la même stratégie que celle [qui avait été] décidée pour le marché intérieur". Quelle fut donc cette stratégie? Au départ, un objectif louable qui ne peut que remporter l'adhésion de tous (même les esprits les plus fermés à l'économie, Viviane Forrester, Maurice Allais... en conviennent): supprimer les droits de douane en Europe pour encourager les échanges. Ce qui fut fait au traité de Rome en 1957. Une fois cet objectif atteint, on le pervertit en affirmant qu'un «approfondissement» est indispensable au bon fonctionnement du marché commun: c'est ainsi qu'en 1986, l'Acte unique renforça les pouvoirs réglementaires de la commission, au motif que les réglementations nationales pourraient constituer une forme de protectionnisme déguisé. Puis en 1992, le traité de Maëstricht instaura la monnaie unique, sous prétexte que les «dévaluations compétitives» entre les monnaies européennes fausseraient la concurrence. Ces arguties, appelées à la rescousse du marché commun, sont autant d'absurdités: les autres marchés communs (l'ALENA pour l'Amérique du Nord, le Mercosur pour l'Amérique du Sud, l'ASEAN pour l'Asie du Sud-Est) fonctionnent parfaitement sans monnaie unique ni autorité fédérale.
À partir d'un projet éminemment souhaitable, un marché commun en Europe, on est arrivé à une calamité et une idiotie économique, la monnaie unique, non par nécessité économique mais par  idéologie européiste.
Pour la mise en place de l'«espace judiciaire européen», nous voilà prévenus: la stratégie pour arriver à une justice fédérale européenne va emprunter le même chemin. Au départ, un objectif louable: coordonner les moyens des États européens afin de renforcer la lutte contre la criminalité, le trafic de drogue, etc... Puis, quand les institutions coordonnant les justices nationales auront été portées sur les fonts baptismaux, les européistes trouveront des prétextes quelconques pour «approfondir» la justice européenne, c'est-à-dire la centraliser davantage: ils évoqueront par exemple le cas des litiges entre deux entreprises établies dans des pays différents de l'UE et affirmeront que ces affaires ne peuvent être arbitrés qu'au niveau européen, afin d'écarter tout soupçon de partialité chauvine des justices nationales. Ils mettront en avant le peu d'empressement qu'ont manifesté jusqu'à présent les quinze pour condamner les (très nombreuses!) fraudes aux subventions européennes. De la coopération entre les autorités judiciaires, objectif souhaitable, on arrivera progressivement à une justice fédérale européenne qui aura un droit de regard sur les justices nationales, à un parquet européen, et à d'autres joyeusetés totalement inutiles qui n'auront pour seule raison d'être l'assouvissement des pulsions idéologiques des européistes.

La tarte à la crème du principe de subsidiarité
Prodi, toujours animé par sa volonté de rassurer, cache également ses visées européistes derrière un autre rideau de fumée: le principe de subsidiarité "qui prévaudra souvent", assure-t-il, la bouche en cœur. Pour ceux qui auraient oublié l'éblouissante campagne de ratification du traité de Maëstricht, on rappellera que le principe de subsidiarité était l'os à ronger que les européistes flamboyants (Delors, Mitterrand, Kohl...) avaient donné aux européistes hésitants (John Major et ses Tories, Chirac et son RPR...), pour qu'ils se tiennent tranquilles et qu'ils votent «bien». Ce principe de subsidiarité est un de ces monuments creux dont les Français raffolent: splendides dans ses intentions, très vagues sur la manière dont celles-ci seront appliquées. En théorie, la subsidiarité dispose que les décisions doivent être prises à l'échelon (local, national ou communautaire) supposé être le plus efficace, et le "plus proche des citoyens". Qui pourrait souhaiter que les décisions soient prises à l'échelon le moins approprié et le plus éloigné des citoyens? Derrière ce bon sens apparent, se cache une manière discrète de fédéraliser l'Europe; car, en pratique, seule la commission de Bruxelles détermine s'il y a lieu de déléguer des compétences aux États membres et seule la cour de justice de Luxembourg est habilitée à trancher les litiges qui opposent la commission aux États sur leurs compétences respectives. Et dans les faits, la jurisprudence de la cour de Luxembourg donne toujours raison à la commission face aux États. Présenté par les européistes comme un moyen de limiter la boulimie de la commission, le principe de subsidiarité est en fait un instrument de plus entre les mains de cette même commission pour asseoir et étendre ses pouvoirs. 
Ainsi, si le principe de subsidiarité est appliqué à la justice comme il l'a été pour les questions économiques (le «premier pilier» dans la belle eurolangue), la future justice européenne fédérale devrait, dans sa grande mansuétude, laisser aux autorités judiciaires nationales des affaires à traiter aussi considérables que le tapage nocturne, les infractions au code de la route ou l'ivresse sur la voie publique...

Rappelons qu'aux États-Unis, la seule autorité judiciaire fédérale existante est la Cour suprême qui n'est habilitée à intervenir dans les affaires de justice interne des 50 États qu'en cas de violation des principes constitutionnels. En dehors de ces cas exceptionnels, chaque État dispose de ses lois, de ses procédures, détermine les peines à appliquer, etc.
Un havre de décentralisation et de bon sens par rapport à la justice européenne que les européistes nous mitonnent. Une fois de plus, force est de constater que le modèle dont s'inspirent les européistes pour construire leur Europe n'est pas à chercher parmi les fédérations existantes (États-Unis, Allemagne, Suisse...) mais bien parmi les États les plus centralisés.



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