Bon
sang ne saurait mentir? (septembre 99)
On sait que Michel Debré
est responsable de deux monumentales bévues: la création
de l'ÉNA et celle de Jean-Louis Debré. Le Général
de Gaulle n'a guère été plus heureux avec sa descendance:
un de ses petits fils n'a rien trouvé de mieux que de figurer sur
la liste du FN aux dernières élections européennes,
en compagnie de Jean-Jacques Susini, un ancien de l'OAS, le groupuscule
terroriste qui tenta à plusieurs reprises d'assassiner de Gaulle.
Y a-t-il donc une fatalité
qui condamne les grands hommes à une progéniture médiocre?
Ce n'est pas certain mais le fils aîné de Marc Bloch vient
d'en apporter un exemple supplémentaire.
La Fondation Marc Bloch
rassemblait, au delà des clivages politiques, diverses personnalités
«souverainistes». L'emprunt du nom de Marc Bloch n'eut pas
l'heur de plaire à son fils, un certain Étienne Bloch, retraité
de la magistrature de son état, qui a obtenu de ses aimables collègues
du tribunal de grande instance de Paris l'interdiction d'utiliser ce nom,
au motif qu'il y a risque de confusion avec l'Association Marc Bloch, chargée
de la diffusion de la pensée de l'historien. (Le
Monde 25/09/99)
Étienne Bloch est
bien entendu libre de ne pas souhaiter voir associer le nom de son père
à une entreprise politique, quelle qu'elle soit, et le risque de
confusion entre l'association et la fondation était effectivement
fâcheux. Mais telles n'étaient pas ses raisons de plaider:
il voulait mettre fin à l'«escroquerie intellectuelle»
que constituait, selon lui, l'emploi du nom de son géniteur à
des fins qu'il juge diaboliques. Aussi, après que le jugement a
été rendu public, il s'est fendu d'une tribune libre (Le
Monde 28/9/99) où il crache son venin sur
l'ex-Fondation Marc Bloch et sur les idées eurosceptiques qu'elle
défend.
Premier coup de semonce,
les idées «souverainistes» seraient "à la
mode": la quasi-totalité du monde politique et médiatique
combat ces idées, ridiculise ceux qui les défendent, et fête
les européistes les plus fondamentalistes, mais, il n'est pas permis
d'en douter, ces idées sont "à la mode". Le reste
est à l'avenant: subtil et clairvoyant comme du Alain Minc.
Les eurosceptiques sont
coupables de dénigrer "les institutions de la société
d'aujourd'hui", alors que chacun sait qu'en France toutes les institutions
fonctionnent merveilleusement bien, à commencer par la présidence
de la République... Ils ont l'outrecuidance de manifester "une
opposition de principe au traité de Maastricht", ce qui est
blasphématoire. Maniaco-dépressifs, les eurosceptiques sont
atteints de "nostalgie d'un passé mythique". Mais ces pathologies
seraient bien bénignes, s'il n'y avait plus grave: l'euroscepticisme
se caractérise par les symptômes suivants: "défense
ardente d'un nationalisme étroit, hostilité à tout
ce qui vient de l'étranger."
Le fils outragé juge-t-il
utile d'illustrer son propos d'exemples montrant la prétendue xénophobie
des membres de la "soi-disante (sic!) Association pour la fondation
Marc Bloch". Ces exemples devraient être faciles à trouver,
puisqu'il assure que la presse se fait complaisamment l'écho de
leurs "déclarations tonitruantes" et accueille volontiers
leurs "articles provocateurs". Sans surprise, il n'en fait rien,
puisque ces exemples n'existent pas.
La tribune de Bloch Jr ne
se contente pas d'être affligeante de conformisme eurobéat,
elle témoigne également que son auteur est plus familier
des oeuvres d'Alain Duhamel que de celles de son père: il n'hésite
pas à écrire que Marc Bloch "était un Européen
convaincu avant la lettre". Bien entendu, il n'apporte aucun texte
pour étayer cette affirmation. Et pour cause: là aussi ces
textes n'existent probablement pas, car Marc Bloch était ce que
les sots d'aujourd'hui appelleraient un "nationaliste-étroit",
comme l'atteste son testament:
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«Étranger
à tout formalisme confessionnel comme à toute solidarité
prétendue raciale, je me suis senti, durant ma vie entière,
avant tout et très simplement Français. Attaché à
ma patrie par une tradition familiale déjà longue, nourri
de son héritage spirituel et de son histoire, incapable, en vérité,
d'en concevoir une autre où je puisse respirer à l'aise,
je l'ai beaucoup aimée et servie de toutes mes forces. Je n'ai jamais
éprouvé que ma qualité de Juif mît à
ces sentiments le moindre obstacle. Au cours de ces deux guerres, il ne
m'a pas été donné de mourir pour la France¹.
Du moins, puis-je, en toute sincérité me rendre ce témoignage:
je meurs comme j'ai vécu: en bon Français.»
Le testament de Marc Bloch
in L'étrange défaite. Folio p.212
¹Le texte date
de 1941. En fait Marc Bloch mourra fusillé par les Allemands le
16 juin 1944.
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Marc
Bloch se sentait «incapable» de concevoir un pays autre
que la France où il «puisse respirer à l'aise».
Quelle horreur! Ailleurs qu'en France, l'air lui était donc irrespirable?
En voilà un drôle d'«Européen convaincu avant
la lettre»... Son fils, que sa dignité de magistrat a
sans doute rendu coutumier des finasseries, objecterait peut-être
que ce paragraphe a été sorti de son contexte...
Européiste, conformiste,
procédurier et superficiel, Étienne Bloch se rajoute à
la liste déjà longue de ceux qui ont hérité
d'un nom qu'ils ne méritent pas de porter et qui devraient prendre
exemple sur Mlle
Pingeot, qui elle, s'évertue et réussit à être
digne du nom qu'elle ne porte pas... |