ACTUALITÉ
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Quelques commentaires, sérieux ou frivoles,
sur l'actualité européenne


Prix Nobel de la paix: le scandale continue (octobre 99) 
Chaque année, à la même époque, une injustice cruelle se répète. La Fondation Nobel persiste à ignorer la plus formidable œuvre de paix de l'après-guerre: la construction européenne. Depuis 1901, près de cent personnalités, institutions ou associations ont été récompensées, mais jamais les hommes de bien à l'origine de la fédéralisation de l'Europe!

Jean MONNET Robert SCHUMAN Konrad ADENAUER Alcide de GASPERI Paul-Henri SPAAK
Monnet, Schuman, Adenauer, Gasperi, Spaak... Pourquoi la Fondation Nobel a-t-elle snobé ces hommes de paix, pères-fondateurs de l'Europe?

Les plus brillantes intelligences du siècle sont pourtant unanimes sur ce point, pas de paix possible sans Europe fédérale: à la déclaration Schuman du 9 mai 1950 appelant à créer une "Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix" répondent la sympathique assurance de Dany Cohn-Bendit, "l'Europe, c'est la paix!" et la sagesse bonhomme d'Helmut Kohl à Louvain en février 1996 "l'Union européenne est une question de guerre et de paix". Les raisons qui poussent les académies norvégiennes et suédoises (qui descernent le prix) à méconnaître le rôle pacificateur de l'Union européenne n'en sont que plus incompréhensibles. 
Est-ce pour ne pas froisser les peuples norvégiens et suédois qui, les inconscients, n'ont pas hésité à refuser par deux fois d'adhérer à l'Union européenne, pour les premiers, ou n'ont pas dissous leur monnaie dans l'euro pour les seconds? Ce serait là une justification bien médiocre. Car récompenser la construction européenne d'un Nobel provoquerait dans ces deux pays un examen de conscience salutaire qui les amènerait peut-être à reconsidérer leur attitude eurosceptique irresponsable.

Alfred NOBEL (1833-1896)
Alfred Nobel (1833-1896)
Alfred reviens! Tes héritiers sont devenus fous!

Plus grave, la bouderie du Nobel à l'endroit de l'Union européenne ne serait-elle pas une manifestation d'euroscepticisme? Cela paraît inconcevable tant les efforts de ces deux prestigieuses institutions sont convergents. Pourtant, le choix du lauréat 1999, Médecins sans frontières (MSF), pourrait le faire craindre. Non que MSF ait jamais formulé explicitement la moindre objection à la construction européenne, et bien entendu, la personnalité sympathique du Docteur Kouchner ne saurait être en cause. Hélas, certains dirigeants de MSF ont cru devoir déclarer que ne pas "dépendre de l'Union européenne, d'un État, ou de tout autre pourvoyeur institutionnel" était un gage de liberté et d'efficacité! Alors que même un enfant de trois ans sait que la liberté et l'efficacité procèdent toutes deux de l'Union européenne. Plus grave: "Nous sommes les seuls, au Kosovo, à construire des abris avec des toits en tôle ondulée, explique l'un des responsables de MSF. Les autres ne font que du plastique, simplement parce que, dans la codification européenne, la tôle ondulée, le dur, ne figure pas au chapitre des opérations d'urgence et qu'il faudrait passer sur un autre budget"  (Le Monde 17-18/10/99) 
Moquer la bureaucratie européenne, sa codification tatillonne, ses innombrables guichets et les conséquences néfastes d'une telle organisation sur le terrain! Voilà qui n'est pas digne d'une ONG respectable! Quand bien même ces insinuations infâmes auraient un commencement de vérité, elles auraient dû être tues afin de ne pas faire le jeu de l'euroscepticisme le plus abject! 
Nous voulons croire que, à l'avenir, la Fondation Nobel saura se montrer plus sélective dans le choix de ses lauréats et écarter des associations dont les dirigeants s'égarent parfois dans le populisme eurosceptique. Nous voulons croire également qu'elle se rachètera en couronnant au plus tôt les deux derniers géants de la construction européenne encore (à peu près) vivants: Helmut Kohl et Jacques Delors.

 

La fusion Aérospatiale-Matra/DASA ébauche d'une défense européenne? (octobre 99) 
Comme c'était prévisible, l'annonce de la fusion entre le groupe français d'armement Aérospatiale-Matra et son concurrent allemand DASA (filiale de DaimlerChrysler) a provoqué un déluge de commentaires européistes délirants: "l'Europe avance", "le couple franco-allemand fonctionne de nouveau", il s'agit d'"une étape historique dans la construction de l'Europe de l'armement" a déclaré Paul Quilès (qui préside la commission de défense de l'Assemblée Nationale), "ce mariage" prouve "que l'Europe est devenue pour l'Allemagne et pour la France, et au-delà pour l'ensemble des pays du vieux continent, une nécessité." "Le succès d'aujourd'hui illustre le rôle irremplaçable de la coopération franco-allemande comme moteur de la construction européenne" souligne Jospin. Strauss-Kahn, quant à lui célèbre "une preuve de l'Europe industrielle"  (Le Monde 16/10/99) 
Alléluia! Cette fois c'est sûr: l'Europe va avoir enfin son industrie de défense qui-va- pouvoir-rivaliser- avec-les-Américains. 
L'Europe avance-t-elle? Sans aucun doute. Mais dans quelle direction? Vers une Europe indépendante des États-Unis, comme l'assure le concert européiste, ou vers une Europe sous tutelle américaine renforcée? Sans surprise, la deuxième hypothèse semble la plus probable.

Les intérêts de la France: ce préjugé archaïque et franchouillard enfin surmonté 
Il est bien entendu franchouillard et obscène de s'étonner que la fusion se fasse à égalité entre les deux groupes, alors que Matra-Aérospatiale a un chiffre d'affaire nettement plus important que celui de DASA, ainsi qu'un carnet de commandes mieux rempli, comme le montre le tableau:

Comparaison Matra-Aérospatiale/DASA

Mais puisqu'il s'agit de construire l'Europe, on peut (et même on doit!) brader les entreprises françaises. 
Bien entendu, dans une situation inverse, les Allemands, eux, ne se payent pas de mots et exigent que l'accord de fusion respecte les réalités industrielles. Alors qu'il avait été prévu de fusionner le groupe pharmaceutique français Rhône-Poulenc et l'allemand Hoechst sur une base d'égalité, les actionnaires allemands ont protesté, brandissant les chiffres favorables à Hoechst. Leur courroux fut récompensé: ils obtenu 53% des titres du nouveau groupe.

 
 Jospin trahit son pays. Il a les qualités requises pour devenir président

En bradant aussi grossièrement les intérêts de la France, Lionel Jospin, qui est venu à Strasbourg parrainer l'heureux événement, apprend son métier de président: depuis 1974, la trahison de l'intérêt national n'est-elle pas devenue la tâche la plus urgente des présidents français?

Pour un mariage, combien d'enterrements? 
Combien de temps cette fusion va-t-elle durer? Cette question aurait mérité d'être posée. Bien entendu, aucun observateur n'a eu cette impiété: quand il s'agit de la construction européenne, il est accessoire et mesquin de s'interroger sur la viabilité et l'intérêt d'un projet; la fusion Aérospatiale-Matra/DASA durera parce qu'elle doit durer. Pourtant, les tentatives infructueuses de rapprochement entre des groupes français et allemands devraient inciter à la circonspection. En effet, ce n'est pas la première fois que les européistes montent en épingle des ébauches de fusions franco-allemandes pour montrer que "l'Europe avance". Le partenariat France Télécom -Deutsch Telekom, le projet de fusion entre les bourses de Paris et de Francfort, le réacteur nucléaire du siècle prochain projeté par Framatome et Siemens avaient, en leur temps, été salués comme de formidables nouvelles pour la construction de l'Europe. Que reste-t-il aujourd'hui de ces fiançailles? Un délicieux champ de ruine: Deutsch Telekom a rompu son alliance avec France Télécom pour tenter, sans succès, de fusionner avec Telecom Italia.  Un tribunal d'arbitrage est chargé de régler les modalités du divorce. Même scénario pour la bourse: en juillet 1998, la Deutsche Börse de Francfort a plaqué la place de Paris pour aller frayer avec le Stock Exchange de Londres, sans plus de bonheur jusqu'à présent. 
L'avenir sera-t-il plus radieux pour la fusion Aérospatiale-Matra/DASA? Il n'y a que les européistes militants qui s'interdisent d'en douter.

L'Europe de la défense est en marche!Une défense européenne ou une défense transatlantique? 
Quand bien même la fusion se réaliserait, il est absurde de la présenter comme l'ébauche d'un géant européen de la défense qui va rivaliser avec les entreprises américaines. Une fois de plus, les européistes feignent d'oublier que vouloir s'affranchir de la tutelle américaine est une obsession française et uniquement française. Aucun autre membre de l'UE ne trouve la suprématie américaine pesante et certainement pas l'Allemagne. Comme de coutume, le Monde (16/10/99) décroche la palme du ridicule européiste: la «une» proclame fièrement qu'enfin "les Allemands ont pris conscience que les Européens étaient en matière de défense, trop dépendants des Américains. Le nouveau groupe jouera un rôle essentiel dans la restructuration de la défense européenne". L'éditorial, quant à lui, se félicite que la fusion ait "permis de stopper la dérive «américanophile» du patron de DaimlerChrysler, Jürgen Schrempp". Les Allemands seraient donc devenus réticents devant la superpuissance américaine et auraient décidé de construire un géant européen pour la contrecarrer? Bien entendu, il n'en est rien et, quelques pages plus loin, un article du même journal n'en fait pas mystère: "Manfred Bischoff, le futur co-président du directoire d'EADS [nom du groupe issu de la fusion] a exclu catégoriquement cette hypothèse [fusionner avec British Aerospace pour former un géant européen], le jour même de l'annonce officielle de l'union franco-allemande. «Le projet de société européenne est mort. Nous avons mis en place un autre projet qui dispose de la taille, des technologies et de la puissance pour envisager des coopérations transatlantiques» a expliqué M.Bischoff". Si l'on comprend bien, c'est en préparant une prochaine coopération avec les industriels américains que les Allemands vont stopper leur "dérive américanophile"... 
Les coopérations transatlantiques que le patron allemand appelle de ses vœux coïncident (comme par hasard!) avec la doctrine américaine en matière d'industrie d'armement. Relatant une conférence de John Hamre, le sous-secrétaire d'État américain à la défense, l'Herald Tribune écrivait en juin (14/6/99): "M.Hamre envisage deux méga-consortiums transatlantiques en concurrence pour des marchés à la fois aux États-Unis et en Europe". Quelques semaines plus tard, le patron de Hamre confirmait la volonté américaine de créer des très grands groupes américano-européens de défense: "Mardi 20 juillet, William Cohen, le secrétaire américain à la défense, est allé plus loin, en affirmant que «les fusions entre les entreprises de défenses américaines et européennes sont non seulement inévitables mais aussi souhaitables." (Le Monde 24/07/99). Les Américains ont d'ailleurs déjà concrétisé ce vœu de coopération transatlantique en confiant à l'alliance franco-américaine Thomson/Raytheon "un contrat qui, à terme, s'élèvera à 20 milliards de francs (...) Cette victoire au détriment de l'autre consortium mené par Boeing et Westinghouse écarté en décembre, consacre une alliance amorcée dans les années 60 entre le groupe français et Hughes, racheté depuis par Raytheon". (ibidem) 
Ainsi, contrairement à ce qu'assurent les européistes, la fusion Matra-Aérospatiale/DASA ne constitue pas les prémices d'une «forteresse» européenne indépendante, mais, au dire même des Allemands, le  prélude à un renforcement de la coopération transatlantique. 
Sous couleur de "faire l'Europe pour résister aux Américains", on fait l'Europe telle que la souhaitent les Américains. Cette fusion a comme un air de déjà-vu...

 

Bon sang ne saurait mentir? (septembre 99) 
On sait que Michel Debré est responsable de deux monumentales bévues: la création de l'ÉNA et celle de Jean-Louis Debré. Le Général de Gaulle n'a guère été plus heureux avec sa descendance: un de ses petits fils n'a rien trouvé de mieux que de figurer sur la liste du FN aux dernières élections européennes, en compagnie de Jean-Jacques Susini, un ancien de l'OAS, le groupuscule terroriste qui tenta à plusieurs reprises d'assassiner de Gaulle. 
Y a-t-il donc une fatalité qui condamne les grands hommes à une progéniture médiocre? Ce n'est pas certain mais le fils aîné de Marc Bloch vient d'en apporter un exemple supplémentaire. 
La Fondation Marc Bloch rassemblait, au delà des clivages politiques, diverses personnalités «souverainistes». L'emprunt du nom de Marc Bloch n'eut pas l'heur de plaire à son fils, un certain Étienne Bloch, retraité de la magistrature de son état, qui a obtenu de ses aimables collègues du tribunal de grande instance de Paris l'interdiction d'utiliser ce nom, au motif qu'il y a risque de confusion avec l'Association Marc Bloch, chargée de la diffusion de la pensée de l'historien. (Le Monde 25/09/99) 
Étienne Bloch est bien entendu libre de ne pas souhaiter voir associer le nom de son père à une entreprise politique, quelle qu'elle soit, et le risque de confusion entre l'association et la fondation était effectivement fâcheux. Mais telles n'étaient pas ses raisons de plaider: il voulait mettre fin à l'«escroquerie intellectuelle» que constituait, selon lui, l'emploi du nom de son géniteur à des fins qu'il juge diaboliques. Aussi, après que le jugement a été rendu public, il s'est fendu d'une tribune libre (Le Monde 28/9/99) où il crache son venin sur l'ex-Fondation Marc Bloch et sur les idées eurosceptiques qu'elle défend. 
Premier coup de semonce, les idées «souverainistes» seraient "à la mode": la quasi-totalité du monde politique et médiatique combat ces idées, ridiculise ceux qui les défendent, et fête les européistes les plus fondamentalistes, mais, il n'est pas permis d'en douter, ces idées sont "à la mode". Le reste est à l'avenant: subtil et clairvoyant comme du Alain Minc. 
Les eurosceptiques sont coupables de dénigrer "les institutions de la société d'aujourd'hui", alors que chacun sait qu'en France toutes les institutions fonctionnent merveilleusement bien, à commencer par la présidence de la République... Ils ont l'outrecuidance de manifester "une opposition de principe au traité de Maastricht", ce qui est blasphématoire. Maniaco-dépressifs, les eurosceptiques sont atteints de "nostalgie d'un passé mythique". Mais ces pathologies seraient bien bénignes, s'il n'y avait plus grave: l'euroscepticisme se caractérise par les symptômes suivants: "défense ardente d'un nationalisme étroit, hostilité à tout ce qui vient de l'étranger." 
Le fils outragé juge-t-il utile d'illustrer son propos d'exemples montrant la prétendue xénophobie des membres de la "soi-disante (sic!) Association pour la fondation Marc Bloch". Ces exemples devraient être faciles à trouver, puisqu'il assure que la presse se fait complaisamment l'écho de leurs "déclarations tonitruantes" et accueille volontiers leurs "articles provocateurs". Sans surprise, il n'en fait rien, puisque ces exemples n'existent pas. 
La tribune de Bloch Jr ne se contente pas d'être affligeante de conformisme eurobéat, elle témoigne également que son auteur est plus familier des oeuvres d'Alain Duhamel que de celles de son père: il n'hésite pas à écrire que Marc Bloch "était un Européen convaincu avant la lettre". Bien entendu, il n'apporte aucun texte pour étayer cette affirmation. Et pour cause: là aussi ces textes n'existent probablement pas, car Marc Bloch était ce que les sots d'aujourd'hui appelleraient un "nationaliste-étroit", comme l'atteste son testament:



Marc BLOCH«Étranger à tout formalisme confessionnel comme à toute solidarité prétendue raciale, je me suis senti, durant ma vie entière, avant tout et très simplement Français. Attaché à ma patrie par une tradition familiale déjà longue, nourri de son héritage spirituel et de son histoire, incapable, en vérité, d'en concevoir une autre où je puisse respirer à l'aise, je l'ai beaucoup aimée et servie de toutes mes forces. Je n'ai jamais éprouvé que ma qualité de Juif mît à ces sentiments le moindre obstacle. Au cours de ces deux guerres, il ne m'a pas été donné de mourir pour la France¹. Du moins, puis-je, en toute sincérité me rendre ce témoignage: je meurs comme j'ai vécu: en bon Français.» 
Le testament de Marc Bloch in L'étrange défaite. Folio p.212 
¹Le texte date de 1941. En fait Marc Bloch mourra fusillé par les Allemands le 16 juin 1944. 


Marc Bloch se sentait «incapable» de concevoir un pays autre que la France où il «puisse respirer à l'aise». Quelle horreur! Ailleurs qu'en France, l'air lui était donc irrespirable? En voilà un drôle d'«Européen convaincu avant la lettre»... Son fils, que sa dignité de magistrat a sans doute rendu coutumier des finasseries, objecterait peut-être que ce paragraphe a été sorti de son contexte... 
Européiste, conformiste, procédurier et superficiel, Étienne Bloch se rajoute à la liste déjà longue de ceux qui ont hérité d'un nom qu'ils ne méritent pas de porter et qui devraient prendre exemple sur Mlle Pingeot, qui elle, s'évertue et réussit à être digne du nom qu'elle ne porte pas...



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