ACTUALITÉ
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Quelques commentaires, sérieux ou frivoles,
sur l'actualité européenne


Discours sur l'état de l'humanité (août 99) 
"Il n'est guère de chefs d'État au monde qui se risquent chaque année à exposer dans un long discours public les réflexions que leur inspire l'état de la planète et la politique étrangère qu'ils en conçoivent" remarque Le Monde (28/8/99). Certes! Mais quel État au monde, sinon la France peut s'enorgueillir d'avoir à sa tête un homme tel que Jacques Chirac? Aucun!  
Le président américain prononce un discours annuel sur «l'état de l'union», i.e. un discours de politique intérieure, mais cela ne peut suffire à une personnalité de l'envergure de M.Chirac. Plus qu'à celles de Clinton, c'est aux messages urbi et orbi du Pape qu'il faut comparer la prestation de Chirac qui montre la profondeur de ses vues sur le monde entier.  
Ce discours annuel est-il un héritage de la période du général de Gaulle? Bien sûr que non! Si c'était le cas, Chirac y aurait renoncé depuis longtemps. De Gaulle avait une politique étrangère cohérente et n'avait pas besoin besoin de convoquer les ambassadeurs pour les en convaincre. Il en va de la politique étrangère comme d'autres domaines: ceux qui en parlent le plus sont rarement ceux qui le pratiquent le plus. La tradition du discours annuel a été instaurée en 1992 par le véritable inspirateur de Chirac, François Mitterrand. C'est donc à l'époque de la ratification du traité de Maëstricht qui inaugurait l'abandon de toute politique étrangère indépendante au profit de la «politique étrangère et de sécurité commune», que Mitterrand avait jugé bon de rameuter la diplomatie pour faire croire que la France avait encore une existence sur la scène internationale. Comme l'écrivait Nicolas Baverez (dans l'article "Un septennat pour rien" Le Monde 19/6/99) "Jacques Chirac a repris à son compte la face la plus détestable de la pratique mitterrandienne: éviction de la responsabilité liée à l'exercice du pouvoir au profit de sa jouissance; conception clanique de la politique doublée d'une aversion profonde pour le talent et l'indépendance(...); goût de l'opacité, mépris pour la loi et les idées." À ceci on pourrait ajouter la gesticulation en politique étrangère pour masquer l'inaction.

Devant un parterre de 160 ambassadeurs sagement assis en rang d'oignons, il a délivré un de ces fulgurants discours dont il a le secret. Ceux qui ont fait 24 heures d'avion pour entendre le présidentiel oracle n'ont pas dû regretter le déplacement. 
Sans prendre aucune précaution, il annonce, que "dans quatre mois nous serons en l'an 2000." Ciel! Quelle clairvoyance! Aucune auguste assemblée, depuis les États Généraux de la charcuterie jusqu'à la Convention nationale des garçons-coiffeurs, ne peut commencer ses travaux sans l'inévitable allusion à l'an 2000. Le président aurait dérogé si, lui aussi, il n'avait pas commencé son discours par l'an 2000. 
Le reste est à l'avenant: consternant.  
Le style? Du Chirac grand cru: il existe au Proche Orient, apprend-on, des "opportunités exceptionnelles" (sic). L'Afrique quant à elle, doit "faire [sienne] les principes de la démocratie et des droits de l'Homme, comme les règles de la bonne gouvernance" (re-sic). «Gouvernance» et «opportunité» sont, avec  «décade» employé à la place de «décennie», les anglicismes préférés de Chirac, ce qui ne l'empêche pas d'affirmer quelques passages plus loin son attachement à "la diversité culturelle et linguistique du monde" et au "mouvement francophone, qui incarne une dimension essentielle et originale du monde multipolaire." Le Pic de la Mirandole élyséen ne semble pas entrevoir que la lutte contre l'uniformisation linguistique passe aussi par le rejet des mots américains dans une langue quand leur équivalent y existe. 
Le contenu? Une interminable litanie de banalités et de lieux communs, que ne viennent troubler que des inepties: ainsi, on apprend, perplexe, qu' Hassan II, que de Gaulle surnommait "le petit trou du c***" a été aux yeux de Chirac "un très grand roi". On découvre, émerveillé, que "la société de l'information poursuit sa croissance exponentielle", ou plus original encore, que "la grande, la très grande pauvreté touche encore près d'un homme sur quatre. Pire : les inégalités ne cessent de s'accroître." 
Mais il ne faut pas désespérer, car on assiste à "l'apparition d'une vraie conscience universelle" qui se manifeste par "la Déclaration sur le génome humain, premier acte d'une bioéthique mondiale" ou par "la signature du traité d'interdiction des mines anti-personnel". Deux ans après la mort de la «princess of hearts», le combat des mines anti-personnel manquait de grandes consciences morales. Le flambeau ne pouvait être repris que par un homme qui partage avec Lady Di un goût immodéré de la réflexion. 
Mieux encore, notre humaniste  "souhaite que le XXIème siècle soit le siècle de l'éthique", ce qui surprendra ceux qui se souviennent que seule une décision arbitraire du Conseil constitutionnel protège Chirac d'une inculpation...  
Mais que serait une vision du monde que seule sous-tendrait la générosité? Le président Chirac, homme d'État avisé, sait que sa politique doit également faire appel à la réflexion: aussi invite-t-il à "penser le monde au XXIème siècle". En quoi cela consiste-t-il? "Penser le monde au XXIème siècle, c'est, en premier lieu, agir sur le court terme". Toutefois, "penser le monde au XXIème siècle, c'est aussi penser l'avenir de l'Afrique",et en outre "penser le monde au XXIème siècle, c'est aussi penser l'Europe", en n'oubliant ni que "penser le monde du XXIème siècle, c'est bien penser un nouvel ordre", ni qu'il est urgent de "penser, pour après-demain, une Union efficace composée de plus de trente États".  
Penser le monde du XXIème siècle, c'est penser le monde du XXIème siècle en quelque sorte... Magnanime, le président concède, à l'avant-dernier paragraphe de son discours, qu'on peut également "penser l'avenir de la France". S'il reste du temps après cet épuisant effort de pensée... 
De Gaulle. Un long exposé de politique internationale est, pour un gaulliste, l'occasion rêvée de montrer que, si les idées économiques de de Gaulle peuvent paraître datées, sa politique étrangère, elle, reste d'actualité. C'est pour cette raison que Chirac n'en fait rien. Une seule allusion à de Gaulle, et encore, pour rappeler que de Gaulle était resté dans le Marché commun, négocié avant qu'il ne revienne au pouvoir en 1958. Ce qui est certes exact, mais ne peut autoriser Chirac à justifier son engagement en faveur de l'Europe fédérale en référence à de Gaulle, qui lui n'a cessé de s'opposer à pareil projet. Par ailleurs, Chirac croit sans doute qu'il suffit d'évoquer ici et là "une certaine idée" pour apparaître gaulliste. Et de "certaines idées", Chirac n'en manque pas. C'est une "certaine idée du monde de demain" et "une certaine idée de l'Europe" qui l'ont conduit à engager la guerre en Serbie. Et la France? Chirac s'en fait-il aussi une "certaine idée"? Non. Il se fait seulement "une certaine idée du rôle de la France en Europe", ce qui est différent. Mais pourquoi s'en offusquer? Un individu pour qui "L'Europe est notre avenir" ne peut que considérer que la France n'existait pas avant le traité de Rome, et que la France n'a pas d'autre avenir que celui de se dissoudre dans l'Union européenne. Pourquoi, dans ces conditions, se faire une certaine idée d'elle? 
L'Europe  Son interminable discours n'était en fait qu'une introduction à ce pourquoi Chirac a convoqué les ambassadeurs: à l'entendre chanter les louanges de la construction européenne. D'une manière si outrancière et sotte que ce texte aurait pu être signé par un quelconque Bayrou ou Cohn-Bendit:

  • "l'Europe est aussi un formidable multiplicateur de notre influence dans le monde". C'est l'argument le plus éculé de la propagande européiste: pourquoi la France construit-elle l'Europe? Pour renforcer l'influence de la France! Pourquoi l'Allemagne, l'Italie et les autres construisent-elles l'Europe? Pour renforcer l'influence de la France, probablement... C'est du moins ce que semblent croire les simples d'esprits partisans de l'Europe, tant il leur paraît difficile à comprendre que les intérêts des pays européens ne sont pas nécessairement les mêmes mais au contraire souvent contradictoires. Si bien que l'UE, au lieu de rassembler les forces des quinze, n'est souvent (en Irak, au Proche-Orient...) qu'un obèse impuissant. 
  • "À l'heure de la mondialisation, l'Union européenne, renforcée grâce à l'entente franco-allemande qui demeure fondamentale, offre le meilleur cadre à l'épanouissement de notre nation." Mais que restera-t-il d'une nation, une fois qu'on l'a dépouillée de sa souveraineté? L'UE est le "meilleur cadre à l'épanouissement de notre nation" de même qu'un cercueil est le meilleur cadre propice à l'épanouissement d'un cadavre.
  • "Complément nécessaire de ce grand marché, la création de l'euro n'a pas seulement mis la France définitivement à l'abri des turbulences monétaires." L'infortunée Suisse, quant à elle, reste exposée à ces maléfiques turbulences monétaires. C'est pour cette raison que la famine et la misère ravagent ce malheureux pays...
  • L'euro a "aussi permis de reconquérir, avec ses partenaires, une souveraineté monétaire de plus en plus difficile à exercer au niveau national." L'expert ne détaille pas le processus de reconquête, ni en quoi la possession du franc était une perte de souveraineté. C'est sans doute trop technique et ces benêts d'ambassadeurs ne comprendraient pas. À moins que cette souveraineté soit "difficile à exercer" parce que ceux qui en sont les dépositaires n'en sont pas dignes...
  • "Face à la mondialisation, les États n'ont d'autre choix que de s'associer pour garder, à l'échelle d'une région, la maîtrise de leur destin. L'Union européenne en est le modèle le plus achevé." L'Union européenne est en effet un modèle tellement envié qu'aucune région du monde ne s'en inspire: l'Asie du Sud-Est, l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud ont certes mis en place un marché commun; aucune de ces régions ne veut de monnaie unique ou d'entité supranationale.
  • Il annonce que le destin de la France "n'a jamais été de se replier sur l'hexagone. Il est au contraire de se projeter vers l'extérieur, de faire partager ses idéaux et ses ambitions." Dans son allocution au Parlement du 2 mars 1999, (reproduite par le Monde 4/3/99) il déclarait déjà "le destin de la France n'a jamais été de se replier sur son hexagone. Il est au contraire de se projeter vers l'extérieur, de faire vivre et partager ses idéaux." Constance d'une grande pensée? Ou alors le «nègre» qui a écrit ce discours, s'il est aussi analphabète que celui qui l'a prononcé, sait en revanche utiliser les touches Ctrl C- Ctrl V de son ordinateur...
  • Enfin et surtout, l'Union européenne, si elle "devient elle-même une vraie puissance", pourrait un jour contrecarrer "l'unilatéralisme" des Américains qui les conduit par le biais de l'OTAN à "s'ériger en Sainte-Alliance pour tout et partout." Alors que "ce rôle de gendarme du monde a été confié par la Charte de l'ONU au Conseil de sécurité et à lui seul." Le stratège élyséen n'explique pas comment il compte faire partager à nos partenaires ce refus de l'unilatéralisme américain, alors qu'ils s'en accommodent tous fort bien, ni surtout, comme le relève le Monde (28/8/99), comment il compte "résoudre la contradiction entre cette assertion et ce qui s'est passé au printemps à propos de la Yougoslavie".
Sur le visage des 160 ambassadeurs, 
se lit, outre un intérêt certain, la fierté d'entendre un discours historique

En conclusion, pourquoi diable Chirac a-t-il cru bon de nous infliger cet interminable pensum? Pour la France? Pour ses ambassadeurs? Pour le monde? 
Il semble plutôt qu'il ne s'agisse que d'une désolante opération de politique intérieure destinée à nier l'évidence: faire croire que le président de la République existe, qu'il compte, et qu'à la différence du gouvernement, il prend de la hauteur. En effet, il décrète fièrement au début de son discours que "le premier devoir de [sa] charge est d'orienter les choix nationaux", feignant d'oublier l'article de la constitution qui dispose que "le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation". Il ajoute: "Le deuxième devoir de ma fonction est, au delà de la défense des intérêts de notre pays, d'exprimer sur la scène internationale une vision globale, à long terme, de l'évolution du monde", feignant d'ignorer que personne ne lui demande sa "vision globale",et que le "long terme" de Chirac se résume à 2002. 
Le regretté Clémenceau ricanait, "il y a deux choses parfaitement inutiles, la prostate et le président de la République". C'était au début du siècle. Depuis, la science a démontré l'utilité de la prostate. Il est à craindre que la science ne puisse rien pour le président de la République.

 

Les internautes négligents qui n'auraient pas encore ce mémorable discours peuvent se le procurer sur le principal point faible de Chirac

Les admirateurs de la pensée chiraquienne peuvent également consulter www.elysee.org, le site non-officiel de Jacques Chirac.



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